•  En vous parlant de notre nouvelle anthologie: "Voyage", je me suis rendu compte que je n'avais jamais publié sur mon blog la petite nouvelle que j'avais écrite pour un de nos précédents recueils: "La marguerite des possibles". Peut-être serez-vous heureux de la découvrir ou de la redécouvrir.

     

    À  l’impossible, nul n’est tenu

     

    Il mit son rouge tablier puis se versa un petit verre d’eau de noix pour se donner du courage. La veille, il avait affûté ses couteaux : le saignoir, l’ébarboir, le tranchelard, le dépeçoir, l’écharnoir, le rognoir, le coupoir, le hachoir. Il avait fourbi ses longs ciseaux, préparé les aiguilles et le fil, la cuvette de faïence pour recueillir le sang, récuré le chaudron, dégraissé la cocotte, astiqué la sauteuse !

    Il s’était aussi entraîné mentalement et avait visualisé maintes fois toutes les étapes de cette journée décisive : saigner, plumer, vider, dénerver, désosser, détailler, hacher, émincer…

    Le plus dur, il le savait, serait de voir son œil confiant saisi soudain de l’étonnement ultime, de sentir la douceur de ses plumes sous la main, le corps tiède qui s’affaisse, privé de vie  tandis que le sang coule goutte à goutte, rouge au-dessus de l’assiette impeccablement blanche !

     Jamais il ne pourrait, il le savait bien ! Mais comment déroger ? Comment dire non à son destin ? Depuis qu’il était tout petit, il entendait son père seriner encore et toujours la même phrase avec son air borné, pétri de certitudes : « Chez les D’Agen de d’Aizensac, on est charcutier-volailler de père en fils !! » Mais lui, ce qu’il voulait, c’était se libérer au plus vite de cette machinerie absurde, ouvrir son cœur bien grand, effeuiller tous les mots qui surgissaient sans bruit dès qu’il gratouillait sa guitare, allumer des étoiles dans les yeux des gens, leur donner de l’espoir, leur montrer d’autres routes.

    Il avait déjà composé des dizaines de chansons et comme il n’osait pas les chanter à ses proches, il avait pris l’habitude de se produire la nuit dans le hangar où dormaient les oies et les canards destinés à finir en conserve. Il faut dire que ces volatiles étaient bon public. Certains allaient même jusqu’à se dandiner en mesure en  lançant de petits « coin coin » joyeux. Il y avait surtout une petite cane toute blanche, particulièrement affectueuse qui venait se percher hardiment sur son épaule, lui donnait de petits coups de tête pour l’encourager et qui battait des ailes dès qu’il avait terminé comme si elle l’applaudissait.

    Lorsque son père avait découvert son secret, il était entré dans une rage folle. À nouveau, il avait déclamé sa fameuse maxime : «  Chez les d’Agen de d’Aizensac, on est charcutier-volailler de père en fils !! » Puis il avait ajouté : « Ton apprentissage théorique n’a que trop duré ! Lundi, tu passes à la pratique et tu vas t’entraîner sur cette cane blanche ! Elle est grasse à souhait ! »

    Et maintenant, il était là, devant la porte de l’immense enclos, le cœur au bord des lèvres, indécis, prêt à prendre la fuite. La cane blanche était accourue dès qu’elle l’avait vu, confiante, amicale, avec du rire au fond des ses petits yeux noirs. Il fut pris de vertige et lâcha le couteau qu’il tenait à la main.

     C’est alors qu’il les vit, juchées dans le sapin de son premier Noël, auréolées d’une nuée de plumes! Jeanne ! La Jeanne de Brassens accompagnée de son oie. Jeanne au grand cœur qui avait accueilli son chanteur sans le sou pendant des années et chez qui il avait écrit tant de succès. Jeanne qui avait refusé de manger son oie alors qu’il faisait faim. Elle tenait dans ses mains quelques partitions sur lesquelles il pouvait lire ses titres préférés : La mauvaise réputation, Mourir pour des idées, La petite marguerite, Une jolie fleur, Pauvre Martin, Les trompettes de la renommée…

    S’il se mettait à voir des fantômes, c’est qu’il allait vraiment très mal ! Mais il avait beau se frotter les yeux elle était toujours là qui lui souriait. Soudain, alors qu’il allait s’évanouir, Jeanne se mit à parler: « Au pays des canards, les musiciens sont rois ! Prends donc ta cane sous le bras et quitte cet endroit ! Je t’offre cette plume. Avec elle tu sauras écrire des merveilles et garder le cœur pur ! Vas, ne te retourne pas,  je veille sur toi ! »

    C’est ainsi que Charles-Henri d’Agen de d’Aizensac devint le chanteur le plus médiatique de sa génération ! Sa chanson fétiche « La marguerite de tous les possibles » fit le buzz sur internet. Elle fut programmée en boucle sur toutes les radios et très vite, sa cane et lui devinrent la coqueluche des plateaux télés. Et comme les journalistes ne sont pas très originaux dans l’art de poser des questions, il dut répéter en boucle comment un D’Agen de D’Aizensac avait fui son destin tout tracé pour découvrir les chemins de la liberté.

     

     

    canard blanc

     

     


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    Après nos dernières aventures : L’atelier de Mijoty, La boîte à rêves, La marguerite des possibles, Le mariage, elle avait dit « Plus jamais, plus jamais ! » mais la voilà qui endosse à nouveau sa tenue de pèlerine pour nous emmener sur des chemins inconnus qui nous réservent sans doute bien des surprises !

    Si je me souviens bien, grâce à elle, j'ai été sorcière sous le règne d’un certain Zorroasky 1er, arbre rêveur et vagabond, charcutier musicien amoureux d’une canne, chatte noire perdue avec tous ses chatons dans une écurie où j’ apprends d’une jument l’art de trousser des haïkus, et me voilà aujourd'hui devenue éléphant qui ma foi, sans vouloir me vanter, est un immense coloriste !

    Mais trêve d’exhibitionnisme!  Elle bien sûr, c’est notre Quichottine qui malgré les difficultés et les chagrins qui n’en finissent pas de se mettre en travers de nos routes, a trouvé le courage de contacter 113 auteurs, dessinateurs, peintres, photographes pour les réunir autour d’un même thème et d’un même projet : « Le voyage », un voyage pluriel qui nous emportera à travers leur imaginaire, leurs rêves, leur folie. Le plus jeune participant a 7 ans.

    Cette nouvelle anthologie vient de paraître chez Thebookedition, mais vous pouvez aussi passer par Quichottine qui lance une souscription jusqu’au 15 octobre. Alors n’hésitez pas à suivre tous ces aventuriers du Rêve et pensez à faire plaisir autour de vous. Noël n’est pas si loin !

     

     

     

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    Gageons que tous ces rêves ne seront pas inutiles puisque les droits d’auteurs et bénéfices réalisés grâce à nos ventes sont entièrement reversés à l’association Rêves une association qui réalise les rêves d’enfants malades. Grâce à vous, ils pourront voyager eux aussi, aller à la mer, visiter le Futuroscope, Disneyland, assister à un match de foot ou un concert…. Alors pour eux un grand merci et partons en Voyage .....

     


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    Dans le soupir des cimes,

    Je défie l’horizon

    Et puis j’oublie mon âge

     

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  • Quichottine m'a donné envie de publier ce texte ancien écrit lors d'un atelier d'écriture aux Moulins Albigeois. Ces ateliers sont toujours liés à une exposition contemporaine et les textes produits pas toujours très lisibles si on ne les rattache pas à l'expo, c'est pourquoi j'hésite à les publier. Mon texte s'inspire d'une déambulation autour des œuvres de Niek van de Steeg. Alors que je m'interrogeais encore ce matin, c'est le texte de Martine qui m'a donné l'impulsion finale. Pourquoi écrit-on? Pourquoi publie-t-on? Mystère! Lira qui voudra, peu importe!

    Niek van de Steeg qualifie son exposition de « construction mentale », ou d’« exposition sculpture ». Le visiteur s’y promène comme dans les circonvolutions d’un cerveau, le long d’une palissade en bois serpentant dans les grands espaces bruts des Moulins albigeois. L’artiste y projette ici et là des moments de sa réflexion sur la notion de matière première et ce qu’elle produit, dans le domaine économique et social comme dans le domaine artistique. Attentif aux grandes contradictions du monde contemporain, développement et écologie, concentration capitaliste et action citoyenne, Niek van de Steeg stimule le regard critique et imaginatif en proposant par exemple d’utiliser le café des pays pauvres pour produire de superbes tableaux abstraits, ou l’uranite jaune pour construire une sculpture cinétique.

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    -      Oh ! J’ai vu, j’ai vu !

    -      Ma fille,  qu’as-tu vu ?

     

    -          J’ai vu des arbres-planche résignés, solitaires. Ils étaient tous rangés par ordre d’importance : les grands au fond qui suivaient la courbure du vent et les petits devant, bien sages, l’esprit vierge et offert, tout emplis d’espérance naïve. Je les ai vus pleurer maman, en bleu, en rouge, en vert, et même en violet. Je les ai vus s’incliner lentement comme de gros tournesols tristes et accepter leur sort sans opposer la moindre résistance, sans poser de questions, sans jamais demander qui avait ainsi décidé de leur sort. Je voudrais être saule maman, les pieds nus dans le fleuve avec mille poissons qui me diraient sans fin la douceur ruisselante de leur ventre argenté.

    -      Cela ne se peut pas ma fille. Nous sommes embarqués pour le même voyage. Les couleurs et les routes peuvent parfois  diverger quelque peu mais pas la direction et chacun doit rester à sa place.

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    -      Oh ! J’ai vu, j’ai vu !

    -      Ma fille, qu’as-tu vu ?

     

    -           J’ai croisé l’homme en rouge qui court sur le bitume déroulant son discours comme un grand sorcier fou.

    -      Mais que disait-il donc ?

    -      C’était comme un rêve maman. Il parlait de matière première, d’uranium, de paysage, de fantasme et de sécurité, d’amour et de santé. Ses pieds tapaient sur le bitume « tap, tap, » comme le rythme d’un tam-tam qui battait dans les mots. Il y avait tout le long de la route de petites maisons en forme de cubes, toutes, toutes pareilles, avec les mêmes portes et les mêmes fenêtres et les mêmes rideaux et les mêmes jardins. Moi, quand je serai grande, je n’habiterai pas dans une maison cube. J’habiterai une maison de vent et de lumière, une maison sans porte ni fenêtre, une maison nomade, cerf-volant, parapluie, parachute, une maison nacelle, rouge et jaune emportée dans le ciel par un gros ballon bleu. Je pourrai me poser dans un grand champ de blé, au sommet des collines, au bord d’une rivière et tout autour de moi sera joyeux et chaud.

    -      Cela ne se peut pas ma fille ! Les hommes vivent toujours en rond, en troupe, en file indienne. Ils se cherchent sans fin, s’entrecroisent, s’entregrouillent, se multiplient, se bercent d’illusion, rêvent d’amour et de fraternité mais ils finissent toujours par se marcher dessus, par se chercher querelle. Et ceux qui veulent fuir, vivre en marge, en lisière, sont vite rattrapés, menés à la baguette, obligés d’écouter encore et encore toujours les mêmes mots pour vous emplir le crâne de choses inutiles, vous empêcher de voir et de comprendre. C’est qu’il faut filer droit ma fille même si nous allons tous dans le même cul de sac. Parfois, on entend bien un cri, quelqu’un qui vous appelle à la révolte et à l’insoumission mais les utopistes d’hier deviennent trop souvent les dictateurs de demain !

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    -      Oh ! j’ai vu, j’ai vu !

    -      Ma fille, qu’as-tu vu ?

     

    -      J’ai vu de gros insectes couleur de terre brune, terre d’ombre brûlée ou peut-être café, frangé de crème fraîche. Ils étaient enfermés dans une cave obscure. Leurs gros yeux me fixaient d’une façon tranquille et résignée mais leurs bouches criaient la longue mélopée de leurs lointains ancêtres, ceux qui vivaient avant dans la forêt des origines. Et ils tournaient en rond dessinant avec leurs pattes et leurs antennes des spirales sans fin, de longues lignes de fuites tremblotantes,  découpées comme de la dentelle. Ils avaient froid maman près de ces grilles béantes, avec le bruit de l’eau qui battait la muraille de son gros ventre roux. C’est alors que j’ai vu une drôle de machine. Elle semblait prête à s’envoler pour traverser le fleuve. Elle grattait le sol de ses huit pattes rouges  et sa queue de dragon dessinait dans le ciel un long ruban bleuté. Tout en bas, il y avait un moulin qui fouettait le grand fleuve et des flocons d’écume montèrent jusqu’à moi délivrant leur message : « Liberté, liberté, ouvrez toutes les cages ! » Ah ! quel bonheur maman lorsque j’ai vu la longue file des insectes grimper dans la drôle de machine. Quand tous furent à bord, je larguais les amarres qui la tenaient au sol et l’arche des insectes partit droit vers le Sud à la recherche de nouveaux territoires. Un jour maman, je construirai moi aussi une arche colorée  comme un bel arc-en-ciel…

     

    Mais pendant qu’elle parlait, quelqu’un avait construit un très long mur de briques qu’elle ne pouvait franchir. Elle s’aperçut alors qu’elle avait grandi d’un coup et ses rêves d’enfant se perdirent à jamais dans le grand labyrinthe des jours. Pourtant, tout à côté, les grands saules bruissaient, les blés doraient, les collines faisaient le dos rond, les insectes fouillaient dans l’humus des forêts et le fleuve coulait, charriant des tonnes et des tonnes de boues venues de sources lointaines. Mais elle avait rejoint la cohorte des hommes. Qui la délivrerait ?

     

    Ah, vous dirai-je maman!

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  • En écho à Gazou qui nous raconte depuis quelques temps avec bonheur son séjour dans le Cantal, j'ai eu envie de vous montrer le petit tableau réalisé à la tempera sur bois que j'ai terminé il y a quelques temps déjà et qui représente un paysage du Cantal à l'automne avec quelques vaches de Salers.

     

     

    Tempera

     un petit clic sur l'image pour voir en grand

     

    Pour celles ou ceux qui ont le temps de lire, j'ai essayé d'expliquer au mieux en quoi consiste cette technique.

    Pour faire simple :

    On utilise un pigment en poudre que l’on mélange à un médium pour en faire une pâte que l’on dépose sur sa palette. On utilise ensuite cette pâte avec de l’eau comme si c’était de la gouache. On peut, comme avec l’huile, composer ses mélanges sur sa palette (généralement un carreau de faïence blanc).

     

    Tempera

    Photo Mickaël Greshny

     

    Le médium est de fabrication artisanale et les recettes varient suivant les peintres. Il y a obligatoirement de l’œuf (soit entier soit seulement le jaune). Nous y ajoutons de l’huile de lin cuite au soleil, un peu de vernis mastic en térébenthine et du Dammar.

    Contrairement aux autres peintures, on ne peut pas la stocker car elle ne se conserve pas. Il faut donc la fabriquer en très petites quantités.


    C’est par contre  la technique la plus solide car une fois sèche elle ne se dissout ni à l’eau, ni à la térébenthine, ni à l’alcool. Par contre elle sèche très vite ce qui rend compliqué la réalisation des fondus et des dégradés par exemple.

    C’est une technique très ancienne qui existe depuis l’antiquité et utilisée aussi par les peintres de la Renaissance jusqu’à la découverte de la peinture à l’huile.

    C’est la technique traditionnelle des icônes, des enluminures,  des tableaux peints sur des panneaux de bois recouverts d’un enduit (craie/colle de peau), bien que la toile fasse aussi très bien l’affaire de nos jours. Il faut juste que la surface soit assez absorbante. En séchant les couleurs se matifient et ternissent, mais l’application du vernis va leur redonner tout leur éclat. C’est une étape indispensable.

    On peut également utiliser un autre médium à base de cire d’abeille. La technique est alors appelée « cerra colla »

     La tempera a été délaissée par les peintres depuis la découverte de la peinture à l’huile mais certains peintres américains comme Andrew Wyeth l’ont réutilisée avec bonheur.

     

     


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