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    -         - C’est un trou de verdure où chante une rivière…

    -          - Attends, tu ne vas tout de même pas commencer ton texte par un vers de Rimbaud ? Tu exagères un peu, cela s’appelle du plagiat !

    -         - Oh ! tout de suite les grands mots ! Est-ce ma faute à moi si j’aime la verdure et les rivières ? Et puis rassure toi, je n’ai pas du tout l’intention d’y mourir comme ce pauvre « Dormeur du val ». Je veux juste te décrire l’endroit et te dire pourquoi j’y abrite mes rêves.

    Ma rivière à moi, elle prend son temps, elle musarde en de nombreux méandres, elle serpentine, elle fait la folle dès que vient le printemps. C’est que sur le plateau, l’hiver dure longtemps. Alors, après le gel, elle est pressée de se dégourdir les jambes et de donner des verts  bien verts, bien gras à la prairie qu’elle traverse. De temps en temps elle passe sous un pont et les vaches s’y retrouvent  l’été pour y faire trempette, leurs pattes pataugeant dans un lacis de populages blancs et la queue toujours en mouvement pour éloigner les mouches. Leurs mufles brodent dans le courant des couronnes de mariée avec dans le milieu des bulles de lumière.

    Moi j’aime  m’installer là où les ajoncs se mêlent aux myosotis. Le ruisseau court sur un fond sablonneux, dessine quelques rides  ou bien s’étale et se repose dans un petit marécage peuplé de libellules bleues. Parfois il rencontre un gué de pierres couvert de mousses et d’algues satinées. Cela ne plaît pas trop à l’eau qui doit freiner sa course et contourner l’obstacle mais c’est joli à voir et à entendre.

    Un peu en amont, il y a un bois de peupliers qui chantent dans la brise, un chant ancien qui vient de loin, de plus loin que l’horizon. Leurs troncs s’élancent dans le ciel comme les piliers d’une église en ruine qui n’aurait plus de toit et le soleil éclabousse leurs feuilles de brisures d’or jaune qui bougent avec le vent.

    Qu’il est difficile de quitter cet oasis de paix avec ce grand silence large et tranquille qui vous rend si vivant. Je voudrais tout emporter avec moi, le grand pré, le ruisseau, l’odeur fraîche des herbes prisonnières de l’eau, la chanson douce des peupliers avec le ciel dans leurs cheveux.

    Alors je cueille quelques pierres rondes, plates, lisses, colorées. Je les empile pour en faire un petit cairn du souvenir, une façon de dire à ceux qui le verront que je suis passée par là et que je m’y suis trouvée bien.

     

    Texte écrit après une séance de méditation

     


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    Ce texte a été écrit en atelier avec deux mots imposés: "bouquet et savoir-faire" 

    Je demande pardon à celles qui aiment les bouquets.

     

     

     

    J’ai toujours détesté les bouquets, cet ensemble de fleurs coupées que l’on met à faner dans une eau pourrissante où elles effeuillent,  le cœur lourd,  la marguerite des plus possibles. Je n’aime pas non plus la fierté de ces dames patronnesses heureuses et fières de vous montrer leur savoir-faire, leur don d’artistes assassines,  la façon dont elles savent associer la couleur des corolles, la hauteur des tiges à l’élégance du vase.

            Pauvres, pauvres fleurs, innocentes,  sauvages, offertes aux soins qu’elles attendent de vous et tellement heureuses d’accueillir tous les jours les surprises du vent,  la caresse d’un rayon de soleil, la tiédeur d’une pluie de printemps. Pensez-vous vraiment qu’elles soient heureuses de faire trempette dans votre vase ancien, serrées à en vomir sur la table de votre salle-à-manger rustique ?

    Moi, mes fleurs, je vais les visiter tous les matins dans mon petit jardin. Je frôle d’un doigt leur peau veloutée et soyeuse, je m’essaie vainement à décrypter la fugacité de leur parfum, je leur soulève tendrement le menton pour leur dire bonjour, j’en observe le cœur ébouriffé de jaune après l’ardent remue-ménage d’une abeille, je leur invente des poèmes, des comptines, des berceuses, j’en fais les héroïnes d’histoires fabuleuses et surtout, je n’oublie jamais de leur dire merci, des brassées, des gerbes, des bottes, des bouquets de mercis.

    Pensez-vous que l’on puisse dire merci avec un sécateur à la main ? « Clac clac, et une de moins ! » Plutôt que de scander ce petit air barbare je préfère de beaucoup entremêler leurs noms pour en faire un cortège de sons aussi légers à dire qu’un vol de papillon :

    « Capucine, ancolie, hellébore, zinnia » 

    Le chuchoter les yeux fermés, prendre congé du monde qui m’entoure, fermer la porte aux carnages vociférants des hommes, m’abandonner à cette joie naïve qui se faufile en moi, me traverse, m’inonde, déverse ses bienfaits, me relie au ciel et à la terre par des milliers de connections secrètes :

            « Alchémille, achillée, asphodèle, lilas »

    En tresser des guirlandes, reliant les saisons :

            « Nigelle, giroflée, santoline, dahlia »

    Et quand je les regarde elles savent bien mes fleurs l’amour que je leur porte. Alors elles font les  belles dans l’air frivole du printemps,  elles prennent des poses alanguies, étalant leurs pétales sous les doigts du soleil, elles s’inclinent avec grâce dans l’oranger des soirs d’automne, elles me confient leurs peines courbant tragiquement la tête quand sonne l’heure des dernières vendanges. Et moi je suis emplie toujours d’une tendresse immense, troublante, comme quand je regarde un tout petit enfant.

            « Passerose, pensée, pervenche, réséda »

     

    Un petit coucou à Quichottine qui se démène sans compter pour notre "Marguerite des possibles"

     


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  • Demain

     

    Un jour, je serai vieille. Je resterai des heures, assise à ma fenêtre, derrière un rideau blanc souligné de dentelle. Je verrai les oiseaux dans le ciel à la tombée du jour, les nuages changeants effilochés de rose, un chat sur les toits gris, levant son petit nez dans la douceur des soirs d’été.

    Je ne parlerai plus. Je serai toute entière à ma tâche, absorbée de silence et les êtres que j’ai connus jadis ne me connaîtront plus. Ils seront là pourtant, figés dans un instantané bruissant et coloré, un éternel retour dans ce grand escalier où j’aimais tant jouer lorsque j’étais enfant.

    Et moi, enfin, je pourrai être moi. Plus besoin de paraître. Je pourrai être moi dans l’oubli et l’abandon des autres. Oubliée ! Quel joli mot que celui là qui se déplie avec légèreté, qui sent bon le pardon et l’absence, la poussière et le renoncement.

    Vous ne me verrez plus mais il ne faudra pas que vous soyez gênez. Ne vous empêtrez pas dans de fausses excuses. Je peux bien vous le dire, je crois bien que moi aussi je vous aurai oubliés ! Alors, il vous faudra passer votre chemin et me laisser en paix dans ce lent tête à tête, avec cet invisible qui palpite si fort, le glissement des heures sur des plages de brumes où je marcherai seule.

    Je laisserai errer le flot de mes pensées sans vouloir les trier, les ranger, encore moins les ordonner. Je serai transparente et tout enfin pourra me traverser. Je ne retiendrai rien. Je laisserai passer la vague et le fleuve des mots et l’angoisse et la peur, les joies, les peines,  les remords déchirants…

    Toute une vie pour parvenir au vide qui vous relie à tout, à la douce lucidité de mon effacement.


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  • Soir d'orage

     Image de Didier Protin, l'internaute

     

    -      Et voilà ! J’te l’avais bien dit qu’il allait y avoir de l’orage. Maintenant, tout va tomber à l’eau. Dans cinq minutes il tombe des cordes et pas qu’un peu ! Tiens, regarde : un éclair … deux éclairs !! Faut pas rester sous l’arbre, ça craint ! Vite, ça va péter j’te dis, ça va péter ! Ah ! J’te retiens toi avec tes idées lumineuses ! T’avais dit : « Sous le grand chêne, la terre est facile à creuser » et pis v’là qu’t’as oublié la bêche !

    -      T’inquiète, j’ai gardé l’ tisonnier!

    -      Le tisonnier? Non mais, tu te foutrais pas de moi des fois ? Y m’l’avait bien dit l’Raoul : «  Fais gaffe, l’gars Lampion, l’a pas la lumière à tous les étages, et des fois, ça court-circuite ! » Et maintenant, le bouquet final ! V’là qu’ça pétarfice du tonnerre de Zeus ! Et si on le balançait dans l’arbre en lui mettant le tisonnier dans le futal ? Autant qu’y resserve après tout cet outil là! La ferraille paraît qu’ça attire les foudres. Et là, ni vu ni connu j’t’embrouille ! Le Marcel, y se fait dézinguer en moins de deux et on le retrouve éparpillé façon caramels mous aux quatre coins du bois ! Même les experts, y z’y verront qu’du feu ! Allez, fais-moi la courte échelle. Je le charge sur les épaules et je le branche. Vite, vite, v’là l’artillerie qui s’radine ! Ça va chauffer j’te dis ! Ça y est, il est en place ! L’est-y pas beau l’Marcel là-haut dans son arbre perché ? Lui qui rêvait de se mettre au vert, le vlà servi. Mais qu’est-ce que t’as bricolé ? Non mais je rêve, t’as encore disjoncté ou quoi ? Tu lui as pas mis le tisonnier dans le grimpant ?

    -      … …

    -      Waouhh ! Ben dis donc ça déménage ! C’était quoi c’te mitraille ? Ça m’a fichu un d’ ces chaud aux fesses ! Je boirais bien une bonne chope de mort subite moi, histoire de me r’donner un p’tit coup d’jus dans les fourchettes ! Bon, faut y aller là ! Faut pas s’éterniser ! Oh ! Mais dis donc ! T’en fait une drôle de tronche ! On dirait un gâteau à la broche qu’aurait mal tourné ! Et puis c’est quoi, c’t’ endroit ? On nage en plein brouillard ! C’est glauque ! Mais qu’est-ce que t’as encore fourgonné ? Et l’Marcel ? Qu’est-ce qu’y fait là ? Dis donc, l’a l’air drôlement fulmicoton ! A moins que Non, non, mais nonVous m’ faites marcher les gars ! Non, non, dites- moi que j’ rêve ! Non, mais, c’est pas possible ça ! J’ sais pas si vous êtes au courant mais moi, j’ai mis une blanquette à mijoter sur l’coin du fourneau ! On peut pas rester là ! Faut trouver un moyen de s’éjecter vite fait ! Bon Lampion, toi qu’ as toujours des idées d’enfer, t’as rien en magasin ?

    -      T’inquiètes, j’ai gardé l’tisonnier!

     

    Pour Les impromptus

     

     Texte écrit en atelier avec deux mots à choisir parmi une dizaine. J'avais choisi,

    voilà et coup de foudre


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    A peu près une fois par trimestre, je me rends à Albi au Centre d’art le LAIT qui organise entre autres choses des expositions d’un genre un peu particulier, ainsi que des ateliers d’écriture. Ces derniers ont toujours comme support l’expo en cours. En ce moment, l’exposition s’appelle Porosités. Elle n’est constituée que de vidéos de jeunes auteurs dont le but est d’évoquer  "les contaminations réciproques d’espaces extérieurs et d’univers intérieurs". Il faut, en entrant dans les salles basses des anciens moulins albigeois où ces œuvres sont projetées, laisser ses préjugés  au vestiaire et se laisser porter.

    Tout ça pour vous dire que le texte qui suit, je l’ai écrit après avoir visionné une vidéo de Valérie Mréjen (romancière, cinéaste, vidéaste) qui  a mis bout à bout des images extraites d’un catalogue Manufrance des années 1970. Une voix off de femme décrit sans affect sa journée de jeune ménagère de moins de 30 ans : le lever, la toilette, les tâches ménagères, les occupations sans intérêt de son après-midi, la soirée avec son mari en robe de chambre molletonnée confortablement installé dans un horrible fauteuil ou avec des amis dans le jardin autour d' un barbecue …

    J’ai trouvé la vidéo tellement déprimante que je me suis défendue en écrivant un texte dans lequel je tourne en dérision cette société de consommation et ce qu’elle fait de nous. Je proposerai de temps en temps un texte écrit dans cet atelier mais je ne vous ennuierai plus avec ce préambule.

    Les moulins albigeois

     

    Soirée Pyjama?

    Une soirée pyjama ????? Non, mais je me demande où ils vont chercher toutes ces idées ! Tu es sûr, vraiment ? Mais qu’est-ce qui leur prend ? On a déjà eu droit aux après-midis bricolage, jardinage, aux matinées pâtisseries tous coincés comme des sardines dans leur cuisine en formica, aux soirées barbecues pour tester leurs fauteuils gonflables qui menaçaient d’éclater à la moindre escarbille !

    Trouve un prétexte, moi je n’y vais pas ! Je n’en peux plus de tester leurs draps de lit qui grattent aux couleurs psychédéliques, leurs robes de chambre en pilou qui sentent le renfermé et leurs kits de coiffure avec ces casques ridicules qui te chauffent la tête pendant qu’on termine leurs vieux fonds de bouteille !

    Mais qu’est-ce que ça va être la prochaine fois ? Une randonnée dans le parc pour essayer des déambulateurs High Tech et des fauteuils roulants aérodynamiques ? Et pourquoi ne pas organiser une manif au mois de mai pour faire la promo des grenades lacrymogènes, des boucliers en plexi glass et des matraques télescopiques ? Je ne sais pas si tu le sais mais on trouve de tout dans ce genre de catalogue ! Ça peut nous mener très loin ce genre d’expériences !

    Soirée pyjama, soirée pyjama !! Mon œil ! Je n’ai pas du tout envie de me retrouver ligotée à un lit pour goûter aux plaisirs d’un matelas à mémoire de formes ! Mes formes, je les connais, toi aussi du reste et je n’ai pas besoin d’un matelas pour me les rappeler !

    Et  as-tu pensé à nos enfants, à nos petits enfants ? Tu imagines leurs têtes d’ici 20 ou 30 ans quand ils nous reverront piégés dans les pages de ce catalogue ridicule ? La honte, je te dis, la honte !

    De toute façon, moi, je suis pour la décroissance ! A bas la société de consommation ! Pourquoi perdre son temps à faire de la pub pour un produit qui sera dépassé dans deux mois ? L’obsolescence programmée qu’on appelle ça ! Sitôt consommé, sitôt détraqué !

    Allez, balance moi vite ce ramassis d’horreurs à la poubelle et dis moi quelque chose de joli, quelque chose de tendre… Oublie donc tous ces trucs qui nous disent comment on doit faire, comment on doit être, comment on doit penser, acheter, vivre ! Dis-moi quelque chose sans étiquette, quelque chose  qui n’aurait pas de prix !

     


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