• Pour La petite fabrique d'écriture qui nous propose un nouveau sujet: écrire sur la perte d'un objet absolument nécessaire à notre existence.

    Mon texte est un peu long, c'est un texte qui traînait depuis quelques temps dans mes tiroirs et dont je ne savais que faire. Je l'ai un peu réaménagé pour coller à la nouvelle consigne et je le publie  en quatre parties.

    File:Joseph T. Keiley A Garden of Dreams.jpg

     Joseph T Keiley

     

            Soudain la nuit occupa tout l’espace. L’orage avait gommé le crépuscule. Les nuages masquaient la lueur de la lune qui nous accompagnait quelques minutes plus tôt de sa belle tête sereine et bienveillante. Parfois, elle tentait une percée, éclairant faiblement le chemin et l’on pouvait apercevoir alors la masse échevelée des nuages qui s’engouffrait dans cette bouche hideuse qui trouait les ténèbres. On eut dit une meute de dragons, une armée de démons se bataillant les uns contre les autres avant d’être emportés par de fantastiques tourbillons orageux. Il me revint alors à la mémoire ces histoires de meneurs de nuées que me contait ma vieille nourrice et dont elle savait se garder en jetant dans le foyer des fragments de bûche de Noël pieusement conservés.

      Au loin, quelques éclairs déchiraient la masse obscure des forêts où de grands arbres fous balançaient leurs branchages, les choquant avec fureur dans une danse macabre. Une pluie torrentielle se jetait par paquets contre tout ce qui entravait sa route

    Quelle folie que ce voyage ! Pourtant, quand nous étions partis, rien ne semblait présager une telle tourmente ! La nuit était si belle, si douce et cette randonnée nocturne nous réjouissait tant.

    A minuit, comme par magie,  l’orage cessa. Le ciel s’ouvrit d’un coup et autour de la lune narquoise, quelques étoiles scintillèrent. Ceux qui ne dormaient pas tirèrent de leur sommeil les passagers endormis pour les faire profiter du spectacle. Le vent s’était levé achevant de balayer le ciel et les étoiles par milliers semblaient s’être amassées au-dessus de la route. Un grand soupir de soulagement parcourut la voiture. Chacun allait pouvoir poursuivre le voyage à son aise.

    C’est alors que nous vîmes l’étang tel que nous l’avait décrit l’aubergiste la veille, tandis que nous dînions près de la cheminée. Surgi de nulle part, il s’était posé sur notre gauche dans une courbe singulière, de sorte qu’il semblait vouloir nous interdire le passage, tandis que le côté opposé était occupé par un taillis de ronces noirâtres d’où émergeaient quelques arbres aux silhouettes décharnées parcourues de remous terrifiants. Sur les eaux mortes de l’étang flottaient quelques îlots verdâtres. Sans doute des feuilles de nénuphars d’où surgissaient des fleurs griffues comme des mains coupées.

    Mon cœur fut pris dans l’étau de ces mains, l’emprisonnant tragiquement dans leurs grandes tenailles et je sentis de terribles frissons d’angoisse engourdir tout mon être mais aussi celui des autres voyageurs. Nous nous regardions, les yeux pleins d’incrédulité, le visage blême, sans pouvoir dire un seul mot, tétanisés par une peur incontrôlable. Etions-nous sous l’emprise d’une hallucination collective ou bien ce conte à dormir debout auquel personne n’avait cru était-il en train de devenir réalité ? Et quelle était donc l’âme ou les âmes que les harpies décrites par l’aubergiste étaient venue ravir ? Qui parmi nous avait donc tant de noirceur cachée qu’il méritait l’enfer ? Allaient-elles surgir de cet étang fantôme pour accomplir leur funeste forfait ? Allions-nous laisser faire ? De toute façon, il n’était plus temps de mener un examen de conscience. Il fallait réagir au plus vite, ne pas se laisser gagner par le doute ou l’épouvante, se préparer à affronter le reste car si l’aubergiste avait dit vrai, le pire était encore  à venir.

    J’essayais de me défaire de ma torpeur, de rassembler mes esprits, de me souvenir du déroulement de l’histoire et des conseils de l’aubergiste : ne pas céder à l’appel de leur chant, ne pas sortir de la berline, tirer les rideaux, se boucher les oreilles, calfeutrer le moindre interstice, se bander les yeux, résister de toutes ses forces à la tentation de les voir, de les entendre ! Je me précipitai sur mon bagage exhortant mes compagnons à se prémunir de la même façon. Ce fut alors dans la voiture  un terrible remue-ménage. Nous crevâmes les coussins pour en tirer la laine dont nous emplîmes nos oreilles. Puis nous bouchâmes tous les interstices visibles. Nous nous couvrîmes la tête, accumulant dans le désordre des foulards, des bonnets, des chapeaux, des couvertures. Certains sortirent des armes, d’autres se donnèrent la main ou le bras et puis nous attendîmes serrés les uns contre les autres comme de pauvres oisillons. Plongés dans cette marmite infernale, nous n’avions rien d’autre pour nous sentir vivants que les cahots de la route et la chaleur qui émanait de la proximité de nos corps.

    Soudain, la voiture vibra. Elle sembla tout à coup soulevée dans les airs puis emportée dans un train d’enfer par les quatre cavaliers de l’apocalypse sur un chemin empli d’ornières. Dans le même temps,  des ondes mauvaises s’insinuèrent dans l’habitacle. Elles étaient là.

    Nous ne les voyions pas mais nous pouvions imaginer leurs ailes gigantesques frôler sans fin notre refuge à la recherche d’une faille. Nous ne les voyions pas, mais nous devinions leurs gros yeux de rapaces nocturnes essayant vainement de rencontrer les nôtres, leurs bouches édentées susurrant leurs petits chants d’amour et de mort pour briser nos résistances. Nous percevions aussi leurs griffes acérées labourant nos bagages juste au-dessus de nos têtes. Nous ne les voyions pas mais tout notre corps vibrait, se hérissait, se recroquevillait, se distendait, s’abrasait dans l’attente de quelque chose de tellement affreux que le moindre repli de notre peau, nos os, nos ongles, nos cheveux, nos dents étaient habités d’un millier de serpents tandis qu’une odeur pestilentielle se répandait dans l’habitacle.

    A suivre

     


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  • Pour La petite fabrique d'écriture

    Chéri, chéri

    http://annielamarmotte.apln-blog.fr/2013/11/08/les-commeres/

     

    -      Chéri, chéri, viens voir, l’automne est arrivé ! Vite, vite allons voir, il fait si beau dehors ! Regarde la lumière ! Respire-moi cet air ! Allons, je prends ma canne et puis mon vieux chapeau. N’oublie pas  ton appareil photo, il y a là des idées à foison, de quoi alimenter nos blogs pendant au moins trois mois !

     

    -    Mais tu plaisantes j’espère ! L’automne, l’automne, c’est d’un banal ! Tous les ans on tourne tous en boucle autour des mêmes choses, tu n’en n’as donc pas assez ? Vas-y toi si ça te fait plaisir, moi je reste ici, j’ai l’hiver à préparer !

     

    -      L’hiver ? Mais l’hiver c’est loin, tu as bien le temps !

     

    -      Tu crois ? Il faut installer la chambre du fond, renouveler le stock de couettes, acheter de nouvelles ampoules basse consommation, vérifier les radiateurs, garnir les étagères, installer une alarme pour ne pas se faire dévaliser comme l’année dernière par les loirs et les mulots, commander quelques bouquins. Je me commanderais bien le dernier Yann Moix, il paraît qu’il est top pour passer l’hiver : tu lis, tu dors, tu lis, tu dors ! En plus il est tellement lourd qu’on peut faire de la gym avec et entretenir ses muscles histoire de ne pas ressortir tout mou au printemps !

     

    -    Quel rabat-joie vraiment. Regarde en lisière du bois, regarde ces chênes enjuponnés de roux et puis cette épaisseur de glands ! On pourrait même s’y rouler dedans comme dans une piscine à balles ! Viens, on va bien s’amuser !

     

    -        Bof, on l’a déjà tellement fait, ce n’est pas nouveau !

     

    -       Et tiens là-bas, regarde les feuilles brillantes des grands peupliers qui font comme des couronnes d’or au-dessus de la rivière. Entends-tu leur musique? On dirait mille petits cœurs qui battent à l’unisson. Mille battements d’ailes…

     

    -       Et alors, tu ne vas tout de même pas me rejouer la scie de la mélancolie et des feuillages jaunissants sur les gazons épars !

     

    -    Non, pas du tout, juste la grâce infinie des platanes, la tendresse de leurs branchages quand ils touchent la terre. Et l’étang qui fleurit dans le soleil couchant…

     

    -       Des rengaines, encore des rengaines qui nous bassinent avec toutes ces vieilles choses vues et revues : le brouillard du matin, l’odeur des pommes, les noix, les raisins, les feuilles mortes et le vent qui fait claquer les portes et les beaux jours qui sont finis !

     

    -       Mais tu ne comprends donc rien, c’est comme un rendez-vous qu’on ne doit pas manquer, quelque chose qui te prend tout entier, qui te fait vibrer, qui te rend vivant, joyeux, qui illumine tes journées !

     

    -       Ce n’est pas ça qui va remplir notre garde-manger ! Et puis l’automne, ça te file entre les pattes, tu n’as pas le temps de dire ouf qu’il est déjà passé. Je ne te comprends pas chérie, il n’y a vraiment que toi pour tenir de pareils discours !

     

    -        Et le désir, tu en fais quoi du désir ?

     

    -        Mais ma parole on dirait que tu as 10 ans !

     

    -       Et pourquoi pas, c’était si beau cette énergie, toutes ces envies, ces gestes fous que l’on faisait sans se préoccuper du qu’en-dira-t-on. Les choses étaient tellement simples. Oui je rêve encore de me rouler dans les herbes folles au milieu des grillons, oui, j’ai envie encore de fouler les feuilles mortes, de les lancer en l’air comme un feu d’artifice, de  regarder le feston de givre qui borde les corolles des dernières ombelles. J’en ai assez de subir le décompte des jours coincée de ce satané terrier qui sent le renfermé. Tu me parles de confort et moi je te parle de vie, tu entends de vie ! Et que tu le veuilles ou pas, cet hiver je pars au bord de la mer!

     

    -        Au bord de la mer? Mais tu es complètement folle, c’est contraire au règlement !

     

    -       Le règlement ? Le règlement je m’en tamponne, j’ai passé l’âge d’obéir au règlement. Désormais, le règlement c’est moi qui l’écris. De toute façon avec le réchauffement climatique cette notion de saisons est totalement dépassée alors moi, je sors, je profite de l’automne et je vais aussi profiter de l’hiver. Qu’est-ce que tu dis ?

     

    -           Rien, je siffle !

     

    -         J'ai quelque peu détourné la consigne de Quichottine qui parlait de " commères" et je me suis aperçue après coup que j'avais écrit un texte qui fait écho à celui d'ABC. J'espère qu'elles me pardonneront toutes les deux.


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  •  

    Pour La petite fabrique d’écriture : Imaginez... vous venez de recevoir une lettre. Elle va changer toute votre vie. Racontez. 

     

    La lettre vagabonde

     

    « Mademoiselle,

    Chère mademoiselle,

    Ma chère demoiselle,

    Ma chère Odile,

    Ma très chère Odile,

    Mon Odile Chérie,

     

             Comment vous dire, te dire, te décrire, t’avouer ce que je, enfin, je ne sais plus, je ne sais pas, vous me, tu me connais si peu, à peine, pas du tout, mais depuis que je vous ai, que je t’ai vue, croisée sur ce chemin, je ne vis plus, je ne dors plus, je ne mange plus, je ne pense qu’à vous, qu’à toi, mon aimée, mon amour, ma colombe, mon ange du matin…

     Il y avait du brouillard ce jour là et vous, et toi, et tu marchais les yeux baissés en prenant garde aux défauts du terrain. Vous m’avez, tu m’as bredouillé un rapide bonjour, un bonjour quelque peu effrayé, un peu gêné, peut-être même agacé. A une heure pareille, tu ne dois pas rencontrer grand monde sur ce chemin et moi, qu’est-ce que je faisais là ? Peu importe, ce qui compte c’est cette rencontre tellement fugitive, presqu’un rêve et que j’en ai gardé ce quelque chose d’intense qui a changé mon existence.

    Depuis, je me suis arrangé pour vous, pour te croiser ailleurs mais toi tu sembles vivre sur une autre planète, tu es tellement distante, tellement absente à tout ce qui t’entoure qu’aujourd’hui j’ose vous écrire en espérant que je ne vous, que je ne te choquerai pas trop. J’ai tellement hésité mais maintenant je ne peux plus attendre : je me jette à l’eau et tant pis si je me noie. J’espère que vous, que tu me pardonneras cette hardiesse, cet élan qui me fait bégayer des propos si confus, si étranges sans doute mais voilà : je serai jeudi à 7 heures 30 sous le grand marronnier place de l’église, à côté du monument aux morts.

    À jeudi mon aimée »

    Odile avait beau tourner, retourner la lettre dans tous les sens, elle n’y comprenait rien : pas de date, pas de signature, pas d’adresse. Visiblement la lettre avait beaucoup vécu. L’enveloppe était froissée, sale, usée dans les coins. Elle tenta sans succès de déchiffrer le tampon de la poste mais d’après le timbre, une Marianne de Cheffer à 30 centimes, Odile se dit que la lettre avait dû voyager pendant  à peu près quarante ans.

    Quant au contenu, elle hésitait entre le rire et les larmes. C’était à la fois surprenant, émouvant et terriblement triste. Ainsi, quelqu’un l’avait un jour remarquée, désirée, aimée peut-être et elle n’en n’avait rien su. Et lui, qu’était-il devenu ? Vivait-il toujours dans le village, le croisait-elle en allant acheter son pain, sur le chemin peut-être qu’elle continuait à emprunter chaque matin. Mais non, ce n’était pas possible, c’était une blague ! Pourtant, il y a quarante ans, elle était plutôt jolie, déjà pas très fréquentable mais jolie. Et maintenant ? Elle posa la lettre sur la cheminée et alla vers la glace de l’entrée : depuis combien de temps n’était-elle pas allée chez le coiffeur ? Depuis combien de temps portait-elle ce vieux survêtement informe ? Pourquoi faire un effort quand la vie se résume à si peu. Elle avait fermé tellement de portes avec son sale caractère et ses idées de révolutionnaire ! La révolution, ça va un temps mais ça isole. Mai 68 était passé, même Cohn Bendit avait baissé les bras,  et elle s’était retrouvée seule à radoter avec ses chats ! La plupart de ses amis étaient peu à peu rentrés dans le rang et avaient pris leurs distances. Quant aux autres, ils la prenaient pour une excentrique, une marginale peu sympathique et ne cherchaient même plus à la récupérer dans l’une ou l’autre des associations du village, ils s’étaient tous cassé les dents !

    Mais cette lettre l’asticotait ! Elle qui n’avait jamais voulu faire le grand saut en disant que le mariage c’était pour les autres, la voilà tout à coup qui frissonnait comme une feuille morte avant de quitter l’arbre ! Que faire ? Cette lettre l’intriguait plus qu’elle ne l’aurait voulu mais à 65 ans elle n’allait pas jouer les midinettes, c’était d’un ridicule ! Elle allait la jeter au feu mais quelque chose la retint. Elle enfila son vieux bonnet, son blouson fatigué et sortit pour acheter le pain. Zut, elle n’y pensait plus, c’était un jour de foire. Elle allait encore rencontrer quelques camarades de classe à qui il faudrait dire deux ou trois mots ! Ça l’ennuyait un peu mais tant pis, elle n’allait pas rebrousser chemin comme une voleuse ! Elle tomba sur Simone. D’ordinaire, elles se disaient juste bonjour, échangeaient quelques mots sur le temps et c’était tout. Mais aujourd’hui, Odile se sentait un peu différente, presque  enjouée. Elle se surprit à lui demander des nouvelles de sa famille, s’intéressa à sa nouvelle vie de retraitée. Simone avait toujours été une gentille fille et répondit sans se faire prier. Puis elle lui dit que cette année elle passait Noël avec  quelques copines de classe. « Tu as dû recevoir le prospectus toi aussi. Les cars Rossignol organisent un voyage en Provence, il reste quelques places si ça te dit ! »

    Quand elle monta dans le car Odile eut un moment d’hésitation. Par quel miracle se retrouvait-elle là ? Il y eut bien quelques regards curieux, quelques apartés dont manifestement elle était l’objet mais elle vit Simone qui lui faisait un signe et elle alla s’asseoir près d’elle. Le parcours fut agréable. Elle qui parlait si peu fut surprise de voir combien la conversation lui manquait et elle y prit même du plaisir.

    Au fond du car Arlette, la coquette  menait grand tapage. Elle n’avait pas changé et racontait comme toujours ses dernières conquêtes. Bien sûr  elle avait su s’adapter et Odile l’entendit qui disait : 

    -          Devinez un peu qui j’ai vu sur meetic la semaine dernière ! L’Alfonse ! Il a juste rasé sa moustache mais il est toujours aussi fringant ! Figurez-vous qu’il cherche une jeunesse de 30 ou 40 ans, il ne manque pas d’air !

    -          Et alors demanda Solange, tu lui as répondu ?

    -          Donne-lui donc rendez-vous sous le grand marronnier sur la place de l’église ! dit Cécile.

    -          Oh ! oui, ce serait d’un drôle s’exclama Lucette !

    -          Demande-lui qu’il t’écrive d’abord une petite bafouille pour voir si son style a évolué, pouffa Andrée !

    -          Quel Guignol celui là ! Dire qu’on s’est toutes laissées prendre : Mademoiselle, Chère mademoiselle, Ma chère demoiselle, Ma chère Martine, Ma très chère Martine, Ma Martine chérie ! déclamait Martine la main sur le cœur.

    -          Mais de quoi parlent-elles ? demanda Odile  qui sentit tout à coup un brasier s’allumer dans sa poitrine.

    -          Tu n’es pas au courant ? Tu te souviens bien d’Alfonse, le fils du boulanger !

    -          Vaguement et alors ?

    -          Figure-toi que ce joli cœur avait trouvé une combine pour draguer les filles qui lui plaisaient. Il leur écrivait à toutes à peu près la même lettre,  seulement comme il n’était pas très malin, il leur fixait le même lieu de rendez-vous à toutes devant le monument aux morts, à la même heure mais un jour différent. Moi c’était le mardi, Arlette le dimanche, Lucette le lundi, Martine le mercredi, Andrée le vendredi et Cécile le samedi… On n’a jamais pu identifier l’inconnue du jeudi. Une maligne sans doute qui n’est jamais venue !

    -          …… C’était moi !

    -          …….Toi ? Et tu y es allée ?

    -          Non, je n’ai jamais reçu la lettre, enfin je l’ai reçue cette semaine avec 40 ans de retard !

    Le repas du soir dans une auberge des Baux fut particulièrement joyeux ! Odile se retrouva tout à coup  au centre de toutes les attentions et on décida de créer sur le champ Le clan des  7 Alfonsine dont le projet le plus urgent était de jouer un tour à l’Alfonse en se pointant toutes ensemble au rendez-vous fixé par Arlette.

     


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  • La vie en rose

    La phrase complète est:

    "Tu lexomiles et après, tu ne rêves plus."

     

    Au mois de septembre j’ai participé à deux ateliers d’écriture au centre d’art Le LAIT à Albi.  Nous avons travaillé autour de l’exposition de Jeanne Susplugas et en particulier sur les addictions. Le texte qui suit répondait à trois consignes différentes :

    1-   Faire la liste de nos allergies

    2-  Inventer un médicament contre chacune de ces allergies. On pouvait inventer aussi une publicité, parler de la posologie, des effets secondaires, de la iatrogénèse

    3-  Raconter la journée d’une personne souffrant d’allergies multiples et usant ou abusant de ces allergènes

    Pour ma part j’ai conçu quatre allergènes que vous découvrirez en lisant mon histoire. Peut-être prendrez-vous plaisir à participer vous aussi à ce genre d’exercice.

    La journée avait bien commencé. Grâce à l’ANTIBROUILLAMINI, elle avait pu traverser cette zone de brouillard qui la déprimait tant en ce début d’hiver. C’était tellement triste ces grands rideaux de grisaille humide et molle qui gommaient soudain le bleu du ciel, le vert des arbres, la lumière du soleil, cette chaleur qui faisait chanter son dos, la peau de son visage, qui la rendait si vibrante, pleine de désir. Cette grisaille la faisait vaciller comme la flamme d’un cierge qui va s’éteindre. Mais depuis qu’elle avait découvert ANTIBROUILLAMINI, sa vie avait changé. Les gens qui l’entouraient s’étaient mis à ressembler à des sapins de Noël plein de bonté si bien qu’elle souriait à tout et dévorait les passants du regard comme si elle était redevenue enfant et qu’ils allaient lui offrir tout à coup sa Barbie préférée.

    Elle arriva au bureau heureuse et détendue mais, à la machine à café, elle aperçut Sandra, sa collègue hypocondriaque qui allait encore lui décrire par le menu toute la panoplie de ses maladies réelles ou imaginaires. Son pauvre corps était une véritable carte de géographie du mal à la topographie minée de dangers terrifiants. Impossible de l’éviter. Elle était en grande conversation avec Bernard qui pérorait au milieu d’un groupe d’aficionados du PSG. Visiblement ils avaient mal supporté la défaite de la veille et tout ce joli monde revivait amèrement les occasions ratées, les erreurs d’arbitrage, le manque d’intelligence du coach qui n’avait pas su utiliser les bons joueurs à la bonne place, la partialité des commentateurs sportifs qui n’y connaissaient rien et qui étaient surpayés pour ne raconter que des âneries. Les pauvres ! Quelle naïveté ! Ils n’avaient donc pas encore compris que tout cela était truqué d’avance et qu’ils n’étaient que de vulgaires pigeons tout justes bons à se faire plumer !

    Peu importe, ils n’allaient pas lui gâcher la journée. Elle fouilla dans son sac et prit à la fois deux gélules d’HYPOCONLAX et deux comprimés de BEINQUATARSISPORT. Elle n’était pas très sûre de pouvoir allier les deux médicaments mais là, c’était un cas d’urgence. Aux grands maux, les grands remèdes !

    Quand elle alluma son ordinateur, elle était dans un état d’apesanteur tout à fait agréable. Il lui sembla soudain que sa chaise était devenue la nacelle d’une énorme montgolfière jaunâtre et qui avait la forme de l’énorme bouton de fièvre que Sandra venait de se découvrir sous le nez. Elle survolait un immense terrain de foot désert dans lequel méditaient une poignée de moines bouddhistes. Quelle paix ! Soudain une pub s’afficha dans un coin de l’écran ! Mais pourquoi la vie était-elle devenue aussi compliquée ? Pourquoi ne pouvait-on pas lui laisser un peu de tranquillité ? Pourquoi le cours de ses pensées devait-il toujours être interrompu par ces désagréments de plus en plus intrusifs? Ce matraquage était tout à fait intolérable. Comment pouvait-on supporter cela sans rien dire ? Ouf, elle avait encore un tube de PUBLISMUTE. « Vivez plus cool, vivez plus zen ! Coupez la chique à la pub ! Réclamez PUBLISMUTE ! » Elle allait enfin pouvoir se mettre au travail.

    Mais bientôt surgit une nouvelle publicité. Celle-ci faisait la promotion d’un voyage insolite : «  Pour  Noël, venez passer quelques jours au bord du lac Impétigo en Pollakiurie Orientale, dépaysement assuré ! » Son esprit allait zapper mais cette pub avait quelque chose d’accrocheur, quelque chose qui répondait sans doute à un désir inconscient. Il y avait un diaporama qui montrait le lieu d’hébergement : une cabane en rondins tout confort absolument ravissante avec une vue imprenable sur le lac. En arrière plan, on devinait une zone boisée avec des pins et des bouleaux. Sur le toit de la cabane, un écureuil farceur semblait lui faire de l’œil.

    C’était vraiment tentant : plus de dinde à farcir, plus de bûche à tartiner, plus d’oignons à compoter, plus de cadeaux à emballer, plus de courses de dernière minute dans ces magasins surchauffés qui déversaient sans interruption des musiques obscènes… A côté d’elle, Sandra était en train de raconter ses mictions nocturnes qui l’empêchaient de dormir et son interminable mélopée se poursuivait par la découverte d’un magnétiseur aveyronnais qui était en train de rééquilibrer les vibrations de son oreille interne afin de guérir ses vertiges. Vite, encore un peu d’HYPOCONLAX. Elle se vit soudain au bord du lac dans sa petite cabane entourée d’arbres. Elle percevait le clapotement des vagues qui venaient lécher le sable de la plage, la musique du vent, le chant des oiseaux, le bruissement des feuilles. Elle pourrait choisir sans contrainte l’emploi du temps de ses journées, emporter avec elle les livres qu’elle n’avait jamais trouvé le temps de lire, se mettre à l’écriture, au dessin, à la photo… Personne pour interrompre le cours de ses pensées, pas de coups de fil intempestifs pour lui vendre des panneaux solaires, de nouvelles chaînes de sport, des produits surgelés. Plus besoin de prendre le moindre médicament… Alors, dans un élan spontané du cœur et du corps, elle cliqua sur Ok, tapa les trois derniers chiffres du code de sa carte bancaire, prit son sac et partit.

    Personne ne sut jamais ce qu’elle était devenue. On la rechercha quelques temps. Ses collègues de bureau dirent dans un premier temps ce que les médias attendaient d’eux. « C’était une employée modèle, compétente, discrète, à l’écoute des autres, souriante, d’une humeur toujours égale. » Puis les langues se délièrent et l’on entendit bientôt un tout autre discours. « C’était une marginale, distante, hautaine, ne partageant pas les valeurs de l’entreprise. Elle avait toujours refusé de participer aux soirées mousse, un des grands moments pourtant de leurs week-end d’intégration. De plus elle n’était pas très futée, elle ne savait même pas qui était Zlatan Ibrahimovic ! Pas étonnant qu’elle ait disparu, à force de ne pas vouloir être comme tout le monde, elle était devenue incolore, inodore, transparente. Seule Sandra fut affectée par sa disparition d’autant plus qu’elle avait découvert dans les tiroirs de son bureau toute une pharmacopée insolite qu’elle s’appropria aussitôt découvrant avec retard qu’elles auraient pu partager leurs petites misères et peut-être devenir amies. 

     

    La vie en rose

      


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  •  
     

    Il y avait la table ou plutôt le pupitre avec un encrier de porcelaine blanche. Un élève passait tous les matins pour le remplir d’une encre bleue teintée de violet mauve. Je rêvais d’être cet enfant là mais pour cela, il fallait avoir les faveurs du maître.

    C’est pourquoi, je m’efforçais d’être extrêmement attentive pendant toute la séance d’écriture qui commençait toujours de la même façon. Tout d’abord, le maître expliquait au tableau dans les moindres détails, la façon de s’y prendre. Il fallait compter soigneusement les interlignes au-dessus et parfois au-dessous de la ligne porteuse. La règle était toujours la même : 3 interlignes au-dessus et deux au-dessous. Il montrait sur les lignes du tableau l’endroit où l’on devait obligatoirement commencer notre travail puis il traçait plusieurs fois la lettre à la craie. Parfois, il nous  demandait de  pointer notre doigt dans l’air et il fallait reproduire tous ensemble dans l’espace le tracé de la lettre afin de l’inscrire dans notre corps et dans notre mémoire.

    Ensuite, j’observais un moment le modèle tout rouge au début de la ligne, je positionnais bien comme il faut le buvard au-dessous, puis je trempais avec angoisse la plume dans l’encrier, prenant soin de transporter à chaque voyage la juste quantité de liquide. C’était un exercice difficile et périlleux. S’il n’y avait pas assez d’encre, on risquait d’être interrompu au mauvais endroit et le raccord serait visible. S’il y en avait trop, c’était la tache ou l’éclaboussure qui vous guettait.

    Enfin, la fête pouvait commencer et elle était complète lorsqu’il y avait des majuscules, surtout celles qui comportaient des boucles que l’on devait dessiner d’un seul geste, sans lever le porte-plume. Je retenais mon souffle et puis je me lançais comme on se jette à l’eau, sans penser à rien d’autre, concentrée sur le trait, les pleins et les déliés, appuyé d’un côté, léger dans le retour. Quels mystères se cachaient donc dans ces traces obscures, ces descentes qu’il fallait maîtriser avant de tourner court dans des entrelacs ventrus.

    Les lettres s’alignaient comme de vaillants petits soldats à la parade, hésitants au début, plus sûrs d’eux à la fin, heureux et fiers d’avoir vaincu ces fourbes parallèles.

    Cela aurait pu être un merveilleux instant contenu tout entier dans cette bulle de silence, avec juste le crissement léger de la plume effleurant le papier, le frottement furtif des  pieds sous les chaises, les soupirs de ceux qui avaient commis l’irréparable, le rayon de soleil qui s’invitait à la fête, le pas du maître dans les allées. Mais quand il s’approchait de moi, la bulle se rompait soudain et je n’entendais plus que le bruit de mon cœur qui bondissait dans ma poitrine. Allais-je enfin trouver grâce à ses yeux ? Aurais-je enfin le droit de distribuer l’encre le lendemain matin ?

     
     

     


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