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Derrière le rideau
En écho à Annick et à Martine, un texte qui dormait dans mes tiroirs
Demain, je serai vieille. Je resterai des heures, assise à ma fenêtre, derrière un rideau blanc souligné de dentelle. Je verrai les oiseaux dans le ciel à la tombée du jour, les nuages changeants effilochés de rose, un chat sur les toits gris, levant son petit nez dans la douceur des soirs d’été.
Je ne parlerai plus. Je serai toute entière à ma tâche, absorbée de silence et les êtres que j’ai connus hier ne me connaîtront plus. Ils seront là pourtant, figés dans un instantané bruissant et coloré, glissant le long des jours comme de preux fantômes à l’orée des forêts.
Et moi, enfin, je pourrai être moi. Plus besoin de paraître. Je pourrai être moi dans l’oubli et l’abandon des autres. Oubliée ! Quel joli mot que celui là qui se déplie avec légèreté, qui sent bon le pardon et l’absence, la poussière et le renoncement.
Certains viendront encore, empêtrés de sourires gênés et de fausses excuses.
- Nous sommes désolés, nous sommes tellement, tellement occupés ! Il y a tant à faire ! On se dit : « aujourd’hui, nous irons ! » Et puis, et puis…
- Ne soyez pas désolés si vous m’avez oubliée ! Je peux bien vous le dire, je crois bien que moi aussi je vous ai oubliés !
Alors, il vous faudra passer votre chemin et me laisser en paix dans ce lent tête-à-tête, avec cet invisible qui palpite si fort en lisière de moi, le glissement des heures sur des plages de brumes où je marcherai seule.
Je laisserai errer le flot de mes pensées sans vouloir les trier, les ranger, encore moins les ordonner. Je serai transparente et tout enfin pourra me traverser. Je ne retiendrai rien. Je laisserai passer la vague et le fleuve des mots et l’angoisse et la peur, les joies, les peines, les regrets déchirants…
Toute une vie pour parvenir au vide qui vous relie à tout, à la douce lucidité de mon effacement.
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Commentaires
1Martine MartinLundi 17 Mai 2021 à 05:16Ton texte m'a profondément émue parce qu'il dépeint si bien une réalité la solitude des personnes âgées. Merci. Bisous et belle semaineRépondrePourquoi attendre demain pour être enfin soi même Et si nous l'étions tout de suite, là, maintenant, sans se poser de question, en ne pensant qu'à notre bien être immédiat ?
Ce texte est à la fois émouvant et bouleversant parce que tellement vrai !
Je te souhaite une semaine lumineuse.
Bonjour Azalaïs,
Il me semble que c'est ce que l'on doit ressentir à la fin de sa vie. Les choses , les gens, même ceux que l'on aime, ont moins d'importance. Il y a un détachement qui se fait peu à peu. Une manière, peut-être, de s'alléger, de ne rien regretter avant le grand départ? Surtout si l'on vit seul, trop seul.
Ton texte est très émouvant.
Bises de bonne semaine
4gazouLundi 17 Mai 2021 à 08:01Transparente, effacée, je ne le désire pas, j'ai vécu cela dans mon enfance et une parie de la jeunesse, je n'en ai pas trop souffert car je m'étais créée une famille imaginaire avec qui je vivais, en secret, et j'étais très bien avec elle....mais ma vie profonde ne se déroulait que dans l'imaginaire...Et maintenant que je vis seule, toute rencontre est pour moi bénéfique et me réjouit ...Certes, je ne suis jamais vraiment seule, je vis avec mes morts. Néanmoins, j'ai besoin de rencontrer des vivants ce qui ne m'empêche pas d'apprécier aussi les moments de solitude, ils sont nécessaires aussi...Et être soi-même, sortir du besoin de paraître...c'est aussi une nécessité
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Lundi 17 Mai 2021 à 08:18
Tu sais j'ai écrit ce texte en voyant l'état de ma mère se dégrader jour après jours. Elle qui était toujours dans le paraître, toujours élégante, maquillée, quêtant les compliments, aimant sortir et s'amuser.... Elle avait beaucoup d'amis mais petit à petit, les gens l'ont abandonnée, j'ai souvent raconté comment ils changeaient de trottoir lorsqu'ils me voyaient de loin parce qu'ils avaient honte de leur désertion. Maintenant c'est elle qui nous fuit et devant ce mur de silence, je ne sais plus quoi imaginer de ses pensées.
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5gazouLundi 17 Mai 2021 à 08:04J'aurai dû me relire avant d'envoyer, je voulais dire "une partie de ma jeunesse"
Tu as bien fait de nous envoyer ce texte, il me touche beaucoup. Merci.
Bonjour Azalais
Voilà un texte très émouvant , mais faut -il attendre cette vieillesse là ...
pour être soi ....
Les temps ont changés et on peut sans doute améliorer cette situation
Bises à toi
Quel beau texte qui m'émeut profondément. Voir un vieillard attendre on ne sait quoi m'a toujours fait m'interroger sur ce que pensent les personnes qu'on dit abandonnées. Tu donnes une bribe de réponse.
Un texte d'une grande puissance qui m'émeut profondément .Une réalité et aussi une incertitude , peut être que dans ce vide qui devient le Moi de la personne , il y a une petite parcelle qui attend un sourire , un mot , une caresse . Tu décris bien le désarroi des visiteurs qui ne savent comment se comporter !Pourquoi ne pas partager le moment présent comme " si de rien n'était " et garder sa peine au fond de soi. Le naturel , même apparent est source de douceur.
Un texte magnifique !
Je te souhaite une douce semaine, bises Azalaïs
Ta page est magnifique... et très émouvante.
Je crois que tu dépeins une réalité que beaucoup connaissent en vieillissant... et sûrement pas seulement.
Pourtant, comme d'autres ici, je crois qu'il ne faut pas attendre d'être vieux pour être soi, même si ce n'est pas si facile.
Merci pour ces mots que je relis ce matin après être passée hier... Tu m'as émue profondément.
Passe une douce journée.
Tu l'entoures tellement, tu l'as tellement bien comprise que tu la décrite à la première personne du singulier, comme si c'était elle qui parlait à travers chacun de tes mots... Ce texte est d'une beauté et d'une force poignantes, laissant transparaitre tout l'amour et tout le désarroi d'une fille pour sa mère !
Est-ce solitude ? Est-ce lâcher-prise ? C'est la flamme de la vie qui vacille petit à petit...
Il est magnifique ton texte et tellement émouvant. Je ressens ce détachement que l'on observe chez les personnes âgées et cette façon bien à elle de se recentrer sur l'essentiel à leurs yeux ce qui ne veut pas dire qu'elles sont centrées uniquement sur elles-mêmes...certaines restent plus ouvertes aux autres que d'autres, c'est aussi une question de caractère, même lorsque la vieillesse est là. Merci pour ce partage. Bisous et une douce journée
Une certaine sérénité
où toute les choses de ce monde
semblent si secondaires
Tu sais toujours trouver les mots qui nous touchent
avec cette sensibilité et cette franchisequi est la tienne
et que j'apprécie beaucoup
:-)
Ton texte est émouvant , aujourd'hui nous sommes allés voir la belle mère. Sa mémoire se vide Doucement. On lui téléphone une ou deux heures avant de la voir, sinon elle ne se souvient plus.
Elle aime se mettre à la fenêtre et regarder les gens passés. Avant jamais.
Nous ne savons pas comment nous serons.
Bisestendre et mélancolique , c'est ainsi : dès qu'on n' est plus "consommable" ( plus de charme, pas d'argent, pas d'entregent ) , on devient transparent...
Tu vas au fond des choses, merci...
Oui c'est comme cela que se passent les dernieres annees de ceux qui ont beaucoup vecu leur vie. on y arrive tous...
Amities
Un billet qui tranche avec celui que je viens de lire chez ton amie Martine.
La solitude des personnes âgées c'est un sujet bien émouvant et d'une triste réalité.
Je te souhaite une belle soirée
BisesTu sais toucher là où il faut avec tes mots chère Aza à ne pas en douter.
T'embrasse bonne semaine à toiQuand nous offres tu un nouveau texte touchant et sincère comme celui ci ? Serais tu en vacances ? Je te remercie d'être venue marcher sur le sentier et te souhaite un bel été.
je pense à toi et espère en la force de ta petite chatte. La nôtre aussi avait eu une pancréatite, puis cancer du foie et elle a tenu bien longtemps.
Soigne toi aussi, c'est important.
je t'embrasse
Coucou Aza
Ton billet est .... grandiose ! Je ne trouve pas d'autres mots pour le qualifier !!! Chaque mot me percute, me pétrifie.. surtout que nous venons de perdre un ancêtre qui a attendu ses 100 ans pour décéder peu après....
Je ressens comme une grande peur en te lisant, car j'ai vécu avec ma grand mère paternelle quelque chose de similaire.... Elle qui rameutait tant de monde autour d'elle pour des fêtes inoubliables, elle s'est retrouvée brusquement seule du jour au lendemain dès qu'elle est tombée malade (cancer)... Je me suis retrouvée propulsée à 15 ans comme garde malade... et je n'en menais pas large.... Elle était devenue muette, je ne savais que faire, que dire, me réfugiant dans la lecture d'un livre pour tenir le coup... Elle ne supportait même plus qu'on la touche, ne désirant que sa piqure de morphine...
Quelle horreur ! J'ai une grande peur de cette mort là ! Ce glissement progressif dans l'inconnu sans pouvoir recevoir une aide extérieure....Je t'embrasse de tout coeur
Merci pour tes visites. Je suis allé voir le site. Je ne connaissais pas ces légendes. Bises25JoëlleLundi 30 Août 2021 à 08:40Une petite halte amicale chère Aza en espérant que tout va bien bises !
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