Elle est partie Gazou dans la lumière blanche de novembre, discrètement, sans faire de bruit comme le font les plus grands, et je remercie Andrée de nous en avoir informés tout comme elle nous avait signalé le décès de Christian Bobin, disparu dans l’indifférence générale des médias.
Pas un seul instant, à la lecture de son dernier billet, je n’aurais pu imaginer un départ aussi précipité, jamais je n’aurais pu imaginer que je lisais ses derniers mots.C’est pourquoi quelque chose en moi refuse ce point final.
http://gazou.eklablog.com/infection-pulmonaire-a213433805
Gazou, malgré son pseudo si doux, c’était une battante. Elle nous racontait dans son blog, son long combat contre la maladie, ses nombreux passages à l’hôpital ou au centre de Dieulefit de façon détachée, simple, drôle parfois, ne s’apitoyant jamais sur son sort. Et puis il en sortait toujours de merveilleux poèmes, des offrandes à la vie, aux bien portants que nous sommes, nous qui nous plaignons toujours sans raison.
"J'ai beau scruter le ciel
Aucun cheval ailé n'apparaît
Seule une masse grisâtre et informe
altère le bleu du ciel
Pourtant j'ai grand besoin de m'échapper
grand besoin de m'envoler
de m'extraire du néant
de faire briller la petite flamme de la vie.
Pourquoi ne puis-je, là où je suis,
dans la solitude de ce jour,
me relier à tout ce qui est vivant ?
Mais voici que,dans le ciel, j'aperçois
une masse grise qui s'étire, s'étire...
Mais voici un lit, me dis-je
un lit volant !
Pourquoi ne pas s'allonger
et se laisser emporter,
se laisser voguer
Et soudain je sens des vagues qui m'emportent,
qui m'élèvent dans le ciel....
Cesse tes délires, me dis-je,
La mer est plus basse que la terre
et ne permet pas de s'envoler..
Mais une autre voix me dit :
Tu sens bien que tu t'envoles
et que tu respires mieux.
Tu sens bien ces vagues qui te soulèvent...
Ce n'est pas la réalité vraie, la réalité objective
Mais tu sens bien ce bien-être qui t'envahit
Cette joie qui te transporte et resplendit.
Laisse-toi bercer sur ce lit de nuages.
Tu t'es enfin retrouvée.
La terre , le ciel et la mer se sont réunis."
Je ne peux hélas citer tous ses mots. Elle disait par exemple :
« En ce moment, je me sens plutôt plombée. Dans la même journée, je peux passer d'un état d'angoisse profonde à un état de bien-être...
Il y a tous les jours des choses inattendues qui surviennent, certaines tristes ou ennuyeuses et d'autres plus gaies et sereines....J'accueille ce qui vient, j'essaie de le vivre au mieux, tout est passager....
C'est pourquoi j'ai tant de plaisir à lire ces quelques paroles de Verlaine
« Oui, le printemps reviendra
Il est des jours - avez-vous remarqué?
Où l'on se sent plus léger qu'un oiseau,
Plus jeune qu'un enfant, et vrai !plus gai
Que la même gaieté d'un damoiseau. "
Gazou, elle s’intéressait à tout. Elle aimait la poésie, le théâtre, le cinéma, la peinture, la sculpture, la philosophie, la politique, la méditation, la littérature, nous interpellait souvent avec des questions insolites, provocantes parfois.
Mais ce qu’elle aimait par dessus tout c’était les gens. Elle aimait les rencontres imprévues, les sourires, les petits mots insignifiants sur le bord d’un trottoir. Tout la charmait, l’intéressait.
Elle avait le pouvoir de dénicher des auteurs inconnus, des images d’arbres résilients, de petites phrases zen, des pensées philosophiques, des blagues aussi qui nous faisaient du bien, nous redonnaient la pêche, nous faisaient sourire et grâce à elle notre journée pouvait commencer de façon plus légère.
Elle avait du talent Gazou, elle écrivait de merveilleux poèmes que j’allais relire de temps en temps sur son blog puisqu’elle n’a jamais cédé à la vanité d’en faire des recueils. Elle les conservait dans des carnets avec les nôtres et ceux de grands auteurs. De temps en temps elle nous en offrait un qui avait 20, 30, 40 ans, s’étonnant d’avoir pu écrire de telles choses.
Gazou, c’était une figure à part dans ce monde bloguesque un peu m'as-tu vu où il est de bon ton de parler de ses exploits, de s'exposer à tout va... Elle était discrète, humble, bienveillante, tolérante toujours présente pour soutenir ses amis dans la détresse alors qu’elle menait un si dur combat
Ma peine est immense Gazou. Tu aimais les boîtes aux lettres que tu collectionnais. Tes amis blogueurs t’en envoyaient souvent. Aussi avant de clore mon hommage, je voulais glisser dans celle-ci que j’aime bien
les photos de deux boîtes aux lettres rencontrées récemment sur un chemin de randonnée à Najac en Aveyron et que je n’aurais pas eu le temps de t’envoyer.
Je glisse aussi ce poème d'Henri Michaux que tu aimais tant.
Emportez-moi dans une caravelle,
Dans une vieille et douce caravelle.
Dans l'étrave, ou si l'on veut, dans l'écume,
Et perdez-moi, au loin, au loin.
Dans l'attelage d'un autre âge.
Dans le velours trompeur de la neige.
Dans l'haleine de quelques chiens réunis.
Dans la troupe exténuée des feuilles mortes.
Emportez-moi sans me briser, dans les baisers,
Dans les poitrines qui se soulèvent et respirent,
Sur les tapis des paumes et leur sourire,
Dans les corridors des os longs, et des articulations.
Emportez-moi, ou plutôt enfouissez-moi.
Je glisse mon immense tristesse, mes remerciements pour tout ce que tu m’as apporté depuis que nous nous sommes rencontrées : une autre vision du monde, un besoin permanent de dire merci à la vie, merci à ce souffle qui te manquait tant et qui me mène sur les chemins où je pense si souvent à toi.
Nous serons nombreux je le sais à lui rendre visite ( en espérant que son blog restera ouvert) afin de la retrouver encore et encore sur cette passerelle qui unit la terre et le ciel .
"Je ne suis rien et je suis tout
Des fils invisibles me relient à tous.
Oui, je suis tous les êtres vivants.
Je suis l'étoile, je suis le vent,
je suis le soleil, je suis la lune
Je suis la vague, le caillou, la dune
Je suis poussière, je suis éphémère.
Je suis passerelle entre terre et ciel.
D'une insatisfaction à une autre insatisfaction,
je progresse vers la perfection
et dans le cercle cousu main
voisinent le vide et le plein."