• Mamie Marguerite dernière partie

     

    Mamie Marguerite dernière  partie

     

    Quand elle est morte, à l’âge de 90 ans,  je lui ai écrit une lettre.

    «   Tu es partie mamie par un matin   d’hiver, un sale petit matin de décembre, sans prévenir personne, seule dans cette chambre que l’on avait aménagée pour toi dans ce qui était autrefois ton magasin. Je me suis toujours demandé ce que tu devais penser d’avoir à dormir là, exposée comme une marchandise sous les étagères que tu arrangeais avec tant d’amour, à côté de cet énorme comptoir de bois blond où restaient encore quelques graines. Tu avais  pourtant à l’étage une chambre de reine avec une belle moquette rouge et  un grand  lit capitonné qui faisait ta fierté. C’était ton antre, ton refuge, un espace sacré dans lequel nous n’osions pas pénétrer sans y avoir été invités. Tous les soirs, avant de m’endormir, je t’entendais tourner avec application les pages du journal que tu  prenais plaisir à lire pour clore ta journée de labeur. C’était ta récompense et moi qui apprenais avec difficulté mes leçons dans la chambre juste à côté, je t’imaginais dans ce lit immense, blottie entre des draps toujours fraîchement lavés et repassés, toujours brodés à tes initiales, bataillant avec les pages du journal que tes gros doigts avaient tant de mal à tourner.

    Tu aimais aussi lire les classiques: Pagnol, Troyat, Clavel, Giono, Bernanos, mais je sais qu’en cachette, tu lisais aussi du Delly.  Tu ne me les donnais à lire que s’il n’y avait pas de passages que tu jugeais  trop osés pour moi.  Je me sentais tellement bien alors dans ce calme, cette paix. J’étais comme dans un cocon, entourée d’amour et de sécurité. Je n’avais plus peur de rien,  j’aurais voulu que cela dure toujours.

    Tu es partie mamie et je suis orpheline. Mon enfance n’est plus. Les images surgissent rondes et lisses comme la lampe le soir au-dessus de la table, comme la lune l’été au-dessus du vieux banc.

    Je revois nos promenades à la tombée du jour. Nous marchions à pas lents dans la rue principale et tous les gens assis sur le pas de  leur porte nous apostrophaient toujours de la même façon : « Alors, on se promène ? Ou bien : Alors, on prend le frais ? Il a fait chaud aujourd’hui ! » Tantôt, c’était la route du séminaire jusqu’au petit bois de peupliers qu’on appelait le Bouscaillou, tantôt le chemin de Sermet appelé aussi le chemin des sœurs parce qu’il longe le couvent. Il y avait aussi la route de Faussergue où nous guettions les premières violettes, celle de la Combette et de la Foncouverte. J’entends encore le murmure des feuilles dans les grands peupliers chahutés par la brise, le chant têtu et flûté des grenouilles dans les fossés de Ginestous, les cris rageurs des hirondelles déchirant en tous sens les dernières lueurs du jour.

    Tu me prenais le bras et ton pouce allait et venait le long de mon poignet rythmant notre silence. C’était un pouce dur et rugueux comme une écorce d’arbre. Et puis, nous revenions. La nuit avait accroché ses étoiles. Ils étaient encore tous là sur le devant de leur porte : les Azam, les Piques, les Cuq, les Chamaillou, les At…. « Alors, elle est finie la promenade ? » J’étais alors emplie d’un bonheur simple et paisible, d’une sorte de plénitude qui me reliait à la présence tellement palpable de la nuit, de tous ces êtres dont la vie bruissait, palpitait autour de moi. J’avais le sentiment d’exister vraiment, d’être l’objet de tous les regards simplement parce que j’étais ta petite fille, la petite fille de Madame Molinier. Je suis encore et pour toujours la petite fille de Madame Molinier.

    Tout le monde s’agite autour de ton corps apaisé. On te raconte, on se souvient, on noie son chagrin dans la parole. La petite flamme du cierge s’étire et éclaire ton visage de cire. Tes mains sont croisées autour d’un chapelet. Tu portes un gilet mauve. Cette porte qui grince, c’est moi Mamie. Je n’en finis pas de venir vérifier, de m’assurer que je n’ai pas rêvé. Mais tu es toujours là et je te regarde fascinée par ce visage que je ne connais pas, pénétrée de douleur, submergée par une houle de larmes. À mon tour, doucement, je frôle ton poignet de mon pouce furtif. En cachette, je glisse une mèche de cheveux dans un coin du cercueil.

    Demain, tout sera dit. Je n’aurai plus de toi que ces pensées secrètes, une odeur retrouvée au détour du chemin, le souvenir de ton sourire complice quand tu voulais partager avec moi une situation cocasse, celui des repas de la Toussaint où tu invitais toujours tes deux frères, l’agitation du magasin les jours de foire, la joie que  tu manifestais alors à échanger en Occitan avec tous ceux qui le souhaitaient.

    Je te baise les mains, le front, la joue et puis je fuis sans un mot quand le menuisier vient pour refermer le cercueil. Dans quelques minutes, nous irons à pas lents dans la rue principale. Ils seront tous là, les Azam, les Piques, les Cuq, les Chamaillou, les At… attendant dignement sur le pas de leur porte pour se joindre au cortège. Il y aura la place avec ses marronniers, l’odeur immuable de l’encens dans  une église pleine à craquer, la route du cimetière bordée de chênes, le bruit des pas sur le gravier, les derniers mots d’adieu, les derniers regards au cercueil qui descend inexorablement dans le caveau de famille, les gestes d’affection, les fleurs et la douleur atroce lorsqu’il faudra te laisser là, seule dans la nuit et le froid. 

    Ma grand-mère s’appelait Marguerite. Avec elle, j’ai connu la paix et la sécurité. Elle a été mon refuge, ma planche de salut, mon guide, celle qui m’a permis de me construire alors que tout s’écroulait autour de moi. Pas un seul jour sans que je ne pense à elle et elle, j’en suis certaine, est toujours à mes côté  comme un ange gardien.

     


  • Commentaires

    1
    Mardi 2 Août 2016 à 08:28
    Claudine/canelle

    Merci pour ce partage emouvant mais aussi riche  de bons de souvenirs

    J'ai eu comme toi une grand mère qui a surement pris autant de place dans mon coeur que la tienne , des moments qui nous ont sans doute permis de mieux se construire (enfin pour moi )

    Bonne journée Azalais 

    Bises

     

    2
    Mardi 2 Août 2016 à 09:22
    LADY MARIANNE

    une fabuleuse histoire ! des souvenirs impérissables-
    que d'amour entre vous ! je n'ai pas connu à ce point, loin de là !
    quelle chance d'avoir ton ange gardien chaque jour que dieu fait-
    gros bisous- bravo pour ce partage intime-

    3
    Mardi 2 Août 2016 à 09:58

    Comme c'est beau Avalais !!!

    MERCI

    4
    Mardi 2 Août 2016 à 15:49

    Ma très chère Azalaïs,

    je pleure, comme une fontaine après avoir lu ton récit... Tu as tellement le don de tout transmettre au delà du temps, au delà de ta douleur, cette amour si puissant, si beau qui te reliait et te relie toujours à ta grand-mère. Tu lui rends un hommage vibrant et je suis certaine qu'elle est auprès de toi. Les gens que l'on a aimés sont toujours près de nous. C'est ton ange gardien, crois-le bien. Je t'embrasse très affectueusement et te souhaite un bel après-midi. A bientôt, ma belle.

    5
    Mardi 2 Août 2016 à 15:53

    C'est un beau partage que tu nous offres là, moment plein d'émotion d'où surgissent des souvenirs heureux du temps où l'on prenait le temps, des instants riches du vrai, de l'échange, du partage. Moments privilégiés qui ont bercé l'enfance quand vivait un village au rythme des saisons, de l'odeur du pain chaud, du café qui grillait....mille trésors cachés profond qui resurgissent quand la vie va trop vite, que le monde devient fou. 

    Merci Azalaïs

    6
    Mardi 2 Août 2016 à 23:01
    erato:

    Un témoignage très touchant que tes mots ont fait revivre avec beaucoup de vie et d'émotion.

    Oui, elle est est toujours à tes côtés te protégeant et te guidant .

    Douce soirée, bises Azalaïs 

    7
    Mardi 2 Août 2016 à 23:39

    Mon Dieu, Azalaïs... comment t'écrire ? J'ai des larmes plein les yeux !

    C'était une femme merveilleuse, et ta lettre est si belle !

    Je n'ai pas eu de grand-mère...à chérir, à cajoler...j'aurais tant aimé !

    Je n'ai pu que rêver d'elle.

    Là, tu vois... je vous imagine toutes les deux, et c'est une émotion très forte...

    Merci pour cela , Azalaïs.

    Merci infiniment pour ce très beau partage d'un sentiment impérissable...Tant qu'il y aura des "Marguerite" pour aimer ainsi, et des petites filles pour les aimer autant, le monde pourra encore espérer.

    Je t'embrasse fort.

    8
    mpolly
    Mercredi 3 Août 2016 à 07:03
    mpolly
    Fabuleuse grand-mère. Son départ a laissé un grand vide mais tu as été aussi si remplie de son amour et de sa bienveillance.
    J'ai pensé à la mienne en te lisant, elle était mon refuge.
    Merci Aza pour ce partage émouvant.
    9
    Mercredi 3 Août 2016 à 10:39

    La vie donne tant de joies parfois, tant de doux partages  qui laissent leur marque , qui donnent l'épanouissemnt du coeur ! Une chance que tout le monde n'a pas !

    Amitiés

    10
    Mercredi 3 Août 2016 à 15:42

    Quelle chance une grand-mère aussi merveilleuse, quel cadeau !

    Et comme tu sais bien lui rendre hommage !

    11
    Mercredi 3 Août 2016 à 16:48

    Je crois que nous avons toutes les larmes aux yeux
    Ma mère a 94 ans et la souffrance est de ne plus être capable de faire ... alors on se réfugie dans les souvenirs
    Elle aussi ne peut plus monter les escaliers et son salon est devenu sa chambre mais elle y a des souvenirs et je pense que ta grand mère vivait elle aussi de ses souvenirs dans son magasin...  mieux là que dans une maison de retraite.
    Reste l'amour partagé , ce lien entre vous deux si fort, si émouvant, si bouleversant
    oui merci du partage
    bises

    12
    Samedi 6 Août 2016 à 21:54

    Que d'émotion à travers chacun des mots vivent les souvenirs et tout l'amour échangé entre ta grand-mère et toi. De solide racines se sont tissées entre elle et toi dans le terreau de vos cœurs. C'est simplement beau de s'aimer vraiment !

    13
    Vendredi 19 Août 2016 à 13:42

    Je pleure et je n'ai pas honte de le dire. Vos mots m'ont touchée et ont fait remonter tant de souvenirs agréables de l'enfance. Je pleure non de tristesse mais de nostalgie. Pour moi la nostalgie est un moment particulier qui me rappelle un moment où une personne que j'ai aimée. Et pendant ce moment, je sens la présence de cette personne. Elle est là tout simplement.

    Je vous remercie profondément pour tous ces textes sur votre Marguerite qui m'ont fait tant penser à la mienne. Votre écriture est merveilleuse, vos mots choisis. En plus de découvrir votre grand-mère, il est très agréable de vous lire.

    Merci encore pour ce partage.

    Bien amicalement,

    Mimi

    14
    Vendredi 19 Août 2016 à 13:51

    ma chère Azalaïs,

    je viens de découvrir ton comm. chez Quichottine et il m'a bouleversé. Je ne te savais pas dans un telle détresse et ne sais que te dire pour essayer d'adoucir ta peine. Les mots de réconfort sont les mêmes pour tous, mais je voudrais te dire que tu peux me contacter si tu en ressens le besoin. C'est tout ce que je peux faire pour toi, je n'ai que ce seul soutien. Quichottine a su de dire tous les mots que tu voulais entendre. Je t'embrasse très affectueusement et te dis à bientôt. Nell

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    15
    Lundi 22 Août 2016 à 08:44
    Coucou AZalai pas de réseau pour mon pc alors je t écris avec un smartphone tout neuf que je ne maîtrise pas ....désolée pour les accents
    Dans
    ces cas de maladies evolutives il arrive toujours un moment où ce n'est plus possible .
    Et tu seras plus à même d'apporter un peu de joie de chansons de douceur comestible ou non à ta maman par des visites bien reposée. .il existe certainement une unité pas trop loin de chez toi
    Je sais que c'est une démarche difficile et qu'il faut du courage
    Mais je suis sûre que ton mari daurade épauler pour sauter le pas
    Je t'embrasse bien fort
    Martine
    16
    Lundi 22 Août 2016 à 09:04

    Merci de ton com Martine, tu sais épaulée par France Alzheimer, je me suis enfin décidée à demander une structure et j'ai déposé depuis le mois de février 5 dossiers dans des établissements proches de chez moi dont deux dans mon village même, mais il faut s'armer de patience, les files d'attente sont très longues et quand la commission qui étudie les dossiers voit le dossier médical de ma mère et s'aperçoit en plus qu'elle n'a qu'une très petite retraite, ça ne se bouscule pas au portillon. Tout est facile quand on a des appuis ou de l'argent, pour les autres, c'est beaucoup plus compliqué, il faut en permanence relancer, solliciter, mendier, se faire tout petit, essuyer des questions déplaisantes, c'est moralement épuisant car on ne voit pas le bout du tunnel et pour fréquenter régulièrement les gens de France Alzheimer , je sais qu'il y a des cas terriblement douloureux, des personnes  de 80 ans et plus qui sont encore obligées d'accompagner un proche faute de places. C'est franchement révoltant car je me dis que c'est peut-être ce qui m'attend et que je brûle les dernières bonnes années de ma vie. Aussi quand j'entends se plaindre des gens qui ont un proche placé, même si c'est douloureux j'en conviens, je ne peux m'empêcher de leur en vouloir car je me dis qu'ils savent pas ce que c'est que d'avoir au quotidien une telle charge, et j'ai du mal à entendre leurs jérémiades.

    je t'embrasse

    17
    Mardi 23 Août 2016 à 16:36

    Je repars émue par tes lignes et la justesse de tes mots...
    T'embrasse chère Aza

    18
    Dimanche 28 Août 2016 à 09:03

    Chère Azalaïs,

    Comme c'est beau et émouvant. J'ai les yeux humides et la gorge serrée. C'est comme si c'était moi qui vivais à travers tes mots car... j'ai eu moi aussi une grand-mère qui m'a tant appris.

    Quelle profondeur! Que d'émotion et d'amour dans ces mots là.

    Merci pour ce partage

    Je t'embrasse

     

    19
    Samedi 3 Septembre 2016 à 10:40

    C'est une très belle lettre pour ta mamie et un très beau texte que tu nous offres. Je me souviens de la mort de ma grand-mère où chacun de ses enfants est venu lire un texte où ils la représentaient comme une personne merveilleuse, ils l'embellissaient. Je ne la trouvais pas merveilleuse ma grand-mère qui s'appelait aussi Marguerite. Je ne la trouvais pas merveilleuse mais je l'aimais comme elle était.

    Pour moi, tu n'embellis rien. Tu nous donnes juste un portrait de femme. Il est sincère et vrai. Il parle d'elle mais à travers tes émotions. Et c'est en cela que je le trouve très touchant.

    20
    Dimanche 4 Septembre 2016 à 09:57

    Pour répondre à ton commentaire sur mon blog, je suis arrivée chez toi en passant par un autre blog. Celui de Quichottine ?

    21
    Vendredi 9 Septembre 2016 à 21:38
    erato:

    J'ai lu ton com à Martine .Tu as raison de chercher à te faire aider quand il est encore temps pour toi de souffler et profiter sereinement de la vie. Chacun a droit a sa part de bonheur . Il arrive un moment où la personne aidant n'est plus capable de répondre aux besoins de la personne aidée et des tensions déplorables et dévastatrices s'installent. Il faut savoir franchir ce pas pour tout le monde.

    Beau week end , bises Azalaïs

     

    22
    Dimanche 11 Septembre 2016 à 11:02

    Bonjour Azalais. je suis venue relire ce très beau texte...

    Merci

    Passe un très bon dimanche ( j'espère que ce n'est pas trop dur pour toi en ce moment )

     

    23
    Dimanche 11 Septembre 2016 à 11:08

    si c'est dur Jackie, trop dur, je ne sais pas combien de temps je vais encore tenir

    merci  de ton passage, j'ai écrit un texte mais mon mari le juge trop violent, je ne sais pas si je dois le publier ou pas

    24
    Dimanche 11 Septembre 2016 à 13:04
    Ma chère Azalais.
    Je reviens te voir en passant par tes comms. Je t'envoie de douces pensées et t'embrasse.
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