• Mamie Marguerite 3ème partie

     

    Mamie Marguerite 3ème partie

     

    Elle avait également une petite pièce spéciale, plus intime, pour les couronnes mortuaires comme si la vision de ces objets funestes  pouvait dissuader sa clientèle de consommer en lui donnant des idées noires. J’étais trop jeune encore pour  être effrayée par la mort et je prenais plaisir à l’aider à fixer sur un ruban mauve les lettres majuscules en métal destinées à adresser un dernier message au défunt. J’aimais beaucoup aussi réparer les couronnes de perles et farfouiller dans les petites boîtes de verroteries si délicatement colorées. 

    Mais là où elle était la plus magnifique, c’était quand elle vendait ses graines ! J’étais complètement subjuguée par les connaissances qu’elle avait , la façon dont elle expliquait aux agriculteurs attentifs comment ils pouvaient associer les plantes entre elles, semer et récolter en fonction de la lune, la rotation des cultures, l’utilité des engrais verts, les qualités et les défauts propres à chaque type de grains, quelles étaient les meilleures plantes fourragères. J’aimais l’entendre prononcer le nom de certaines graines de son accent chantant et rocailleux, un accent qui faisait rouler les R : la rave, la chicorée frisée, le trèfle incarnat, le ray-grass, la luzerne, la scorsonère.

    Dans ces occasions là, elle utilisait l'Occitan, qui contrairement à ce que voudraient faire croire  certains cuistres m'as-tu-vu et rigolards n'est en rien une langue de bouseux arriérés, mais la langue des troubadours et il faut remercier ceux qui ont continué à la parler, à la garder vivante malgré les nombreux interdits gouvernementaux. Même si ma grand-mère ne la parlait pas dans la vie courante, c'est grâce à ses échanges avec ses clients que cette langue infiniment riche et belle m'est entrée dans l'oreille et qu'à mon tour je la cultive comme une trésor vivant infiniment précieux.

    Elle rangeait les graines de jardin dans les tiroirs d’un énorme comptoir de bois blond. Pour chaque tiroir le nom de la graine était écrit sur un petit carton puis glissé dans une fente qui servait aussi de poignée. Il y avait dans ce comptoir une infinie variété de graines de carottes, de laitues, de radis, de petits pois. Certains noms me faisaient rire : la Kinemontepas, la grosse blonde paresseuse, les cocos, les lingots, les concombres généreux, les épinards monstrueux, la reine de juillet … D’autres me faisaient rêver : les radis roses de Chine, la chicorée de Bruxelles, le potiron d’Étampes, la carotte de Colmar, la nantaise, la scorsonère noire de Russie, le persil géant d’Italie, l’oignon rouge de Brunswick, le chou de Copenhague… Une façon comme une autre de voyager, de m’évader.

    Pour peser les petites graines du jardin, elle utilisait une balance Robertval et des poids cylindriques en laiton qui étaient rangés dans une boîte rectangulaire en bois. Ces poids allaient de 1 à 5o grammes. Quand elle avait pesé les graines, elle les faisait glisser du plateau de la balance dans une petite pelle creuse puis dans un petit sachet de papier kraft qu’elle fermait maladroitement de ses gros doigts tout abîmés, avant d’y inscrire soigneusement de sa belle écriture le nom de la plante. Pour peser les graines fourragères, elle utilisait une autre balance Robertval un peu plus grande. Les poids étaient hexagonaux en fer noir et on les soulevait en plaçant son index dans un anneau. Ces poids étaient de 1, 2, 5 hectogrammes et de 1, 2, 5, kilogrammes.  Naturellement les plateaux des balances, les poids en laiton, les poignées des tiroirs du comptoir étaient soigneusement astiqués. Elle avait aussi dans l’arrière magasin une balance en bois beaucoup plus sophistiquée qu’elle avait commandée aux établissements Larroche à Toulouse et qui servait pour peser les gros sacs en toile de jute.


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  • Commentaires

    1
    Vendredi 15 Juillet 2016 à 09:26

    J'ai gardé la balance de la famille avec les poids ronds bien astiqués et rangés dans leur petite boîte en bois. cela fait la joie de mes petits loups qui apprennent ainsi à compter et à peser en s'amusant. je surveille les opérations attentivement pour ne pas perdre les poids. Ma boîte est complète.

    Les souvenirs enracinent;

    bises

    2
    Vendredi 15 Juillet 2016 à 09:46

    ma grand mère nous laissait aussi jouer avec mais sa hantise était "le petit poids" celui de 1 gramme et répétait souvent "attention au petit poids!!"

    3
    Vendredi 15 Juillet 2016 à 10:28

    la mienne avait une petite épicerie et vendait des bonbons dans des grands bocaux et du ruban etc au centimètre ... excellente en calcul mental, elle n'avait pas son pareil pour calculer prix et addition  ..
    ma mère a aussi sa balance, les poids de 1 à 2 kg et la boîte de petits poids ..
    ah pas question de jouer avec !!! je n'ai pas eu votre chance ... mais j'étais peut être plus tête en l'air wink2
    j'aime ces noms de graine , mon père semait toujours des "Triomphe de Farcy" et j'étais subjugué par ce nom
    bises

    4
    Vendredi 15 Juillet 2016 à 11:17
    Claudine/canelle

    Bonjour Azalais 

    Je n'ai pas connue cette ambiance  , chez moi l'une faisait le marché, l'autre couturière à domicile 

    Deux univers très differents  et si on rajoute celui de Mamie  Marguerite  

    des vies très differentes mais un point commun la passion du leur travail !

    Merci pour ce beau partage 

    Bises Azalaîs 

    5
    Vendredi 15 Juillet 2016 à 11:23

    Bonjour ou rebonjour Azalaïs.

    Encore quelques instants à lire ta page. Je la relis encore tant elle me touche, me bouleverse. J'aime ta façon si belle et si naturelle de parler d'un temps ancien, mais si vivant. J'ai l'impression de voir les endroits que tu nous relates avec tant de détails.

    Mon billet avait été programmé la veille, en fin d'après-midi. Je l'ai rectifié en apprenant cette tragédie.

    Je t'embrasse.

    6
    Vendredi 15 Juillet 2016 à 14:51

    Que j'aime la façon dont tu racontes tes souvenirs et  dont tu fais revivre ta grand-mère...Merci pour ce partage !

    7
    Vendredi 15 Juillet 2016 à 15:51

    L'occitan est une langue que j'aurais adoré parler... J'ai aimé découvrir en VO les auteurs qui voulaient que la langue ne se perde pas.

    Tu as beaucoup de chance, Azalaïs.

    Ce trésor-là, personne ne peut te le prendre, il est en toi, et riche de centaines d'années de poésie.

    Tu vois, j'ai appris très tard aujourd'hui ce qui s'était passé à Nice hier... et la lecture de ta page fait du bien, pour ce qu'elle dit de notre "vraie vie", celle de ceux qui savaient partager leur savoir, celui de la terre, des traditions, celui des sentiments et du respect que l'on doit à tous...

     

    Merci pour cela Azalaïs, merci pour ce récit qui m'émeut profondément car on pourrait presque voir ta Marguerite, sentir les fleurs, entendre les murmures...

    Merci pour tout.

    8
    mpolly
    Vendredi 15 Juillet 2016 à 22:18
    mpolly
    Cette ambiance je l'ai connue mais de l'autre côté, celle de la petite fille qui accomgnait sa grand-mère, la boutique du village sentait mille odeurs différentes. Pour les graines mon grand-père conservait les siennes, je ne me souviens plus qu'il en ait achetées.
    J'aime infiniment cet arrière du décor, ta précision et les balances dont un spécimen traîne ici en Auvergne avec tous ses poids, les tout petits si légers si délicats.
    Je ne connais pas la langue des troubadours mais je sais qu'ils ont laissé des chants magnifiques repris et traduits par les trouvères.
    Merci pour ce partage si riche.
    Bises Aza.
    9
    Samedi 16 Juillet 2016 à 10:34
    LADY MARIANNE

    je n'ai pas connu cette ambiance- pas de commerçants chez moi-
    trop bien ton récit on sent , on voit, on aime !!
    belle séquence nostalgie-
    Bisous et bon samedi-

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    10
    Dimanche 17 Juillet 2016 à 13:49

    Bonjour

    Ca devait être le bon temps!

    Les choses ont bien changées maintenant, malheureusement...

    Bsious

    11
    Dimanche 17 Juillet 2016 à 15:54

    le bon temps je ne sais pas, la vie n'étais pas si facile: pas de chauffage, l'eau à aller tirer au puits, les toilettes dans le jardin mais chaque petit progrès dans le confort était accueilli comme un  petit miracle

    12
    Mardi 19 Juillet 2016 à 15:33

    Toujours aussi délicieux Azalaïs,

    que ne donnerions nous pas, pour pouvoir encore acheter des graines dans un tel magasin

    13
    Mercredi 20 Juillet 2016 à 23:24
    erato:

    Ce texte souvenir tellement vivant et précis me rappelle des moments merveilleux que je passais dans le magasin près de chez moi. J'adore ta manière de conter , un film documentaire d'une époque .

    Je n'ai pas les poids mais j'ai les mesures pour les liquides .

    J'adore l'occitan que ma Maman parlait et dont j'ai appris à comprendre , mais je ne le parle pas. 

    Belle soirée, bises Azalaïs

    14
    Vendredi 19 Août 2016 à 13:20

    Une vraie encyclopédie cette Marguerite. Voilà bien de noms de plantes que je ne connais pas mais c'est vrai que leur nom sonne agréablement à l'oreille. Et la balance avec les petits poids, ça je connais ! Quel plaisir de retrouver dans vos mots tout ce monde passé, mais pas oublié. C'est une vraie chronique historique. Merci pour tout ça. Je continue...

    15
    Mercredi 31 Octobre 2018 à 07:53

    Quel beau portrait!

    L’occitan est une langue magnifique,mélodieuse. J'ai toujours dit que si un homme m'avait fait la cour en occitan,je serais peut-être tombée direct dans ses bras. Les mots semblent danser, venir à toi, te caresser. Beaucoup de gens le parlent autour de moi. Pas que des gens âgés d'ailleurs.

    Toutes ces graines, tout comme toi, parlent à mon cœur et font ressurgir de jolis souvenirs.

    Merci Aza pour cette belle lecture. j'ai encore bien des choses  à découvrir dans tes pages

    Bises

    smile

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