• Mamie Marguerite 1ère partie

    En écho à Quichottine dont le texte "Il était une fois Mémé" m'a beaucoup émue

    et aussi parce que Mary (l'Espigaou) m'en a fait la demande, je publie dans son intégralité un texte sur ma Grand-mère dont j'avais déjà publié quelques morceaux sur un autre blog. Ces textes, je les ai repris il y a quelques temps pour en faire un texte plus cohérent que j'ai intégré à une publication destinée seulement à ma famille. Je le découpe en plusieurs parties pour ne pas trop vous fatiguer.

    Marguerite

     

    Il y avait ma mère, élégante, belle, fantasque, naïve, que j’idolâtrais non pas comme une mère mais comme une fée, un ange, une reine, un personnage de conte, une icône brillante mais tellement fragile ! Combien de fois ai-je eu envie d’être sa mère, moi, sa petite fille, pour la protéger, lui ouvrir les yeux, lui montrer le chemin.

    Et puis, il y avait ma grand-mère, solide comme un roc, robuste comme un chêne, active comme une abeille, l’esprit et le corps bien ancrés dans la terre de ses origines paysannes. Ses valeurs à elle, c’étaient le travail, l’ordre, le respect des autres et de soi, l’honnêteté et bien sûr une foi indestructible dans la religion qu’on lui avait enseignée, une foi que l’on ne pouvait en aucun cas remettre en cause !

    Avec elle, j’ai connu la messe  du dimanche, les vêpres, les prières du soir, les interminables chemins de croix dans le froid de l’église, le rosaire à genoux sur une poutre infâme, digne d’un instrument de torture, les cantiques en Latin auxquels je ne comprenais rien, les enterrements de personnes que je ne connaissais pas, les « Mon Dieu je vous l’offre ! » lorsqu’il fallait accomplir une tâche pénible. Elle avait aussi un truc infaillible quand je traînais des pieds pour aller à confesse. Elle disait « Tu dis les plus gros péchés en premier, les autres viendront tout seuls » Cela n’empêchait pas la tendresse, une tendresse maladroite qu’elle avait du mal à dire mais qu’elle exprimait par le regard, une caresse furtive de ses épaisses mains rêches et crevassées, un dessert inattendu qu’elle posait soudain sur la table  avec des gestes de magicienne, le visage illuminé à l’avance par la joie qu’elle voulait m’offrir.

    Très tôt, j’ai vu en elle une femme forte, indépendante, réservée mais complice, d’allure stricte, discrète, mais toujours élégante, un peu guindée mais capable de beaucoup d’humour. Elle était devenue veuve quand je suis née et je crois qu’elle ne m’a jamais parlé de mon grand-père. Cette solitude ne lui pesa pas le moins du monde (si elle a connu d’autres hommes cela ne s’est jamais su) car elle lui permit de mener sa vie comme elle l’entendait, et sa vie, c’était son commerce et sa maison.

    J’adorais la voir s’activer dans son magasin, organiser avec amour les éléments de sa vitrine sur un satin coloré en harmonie avec le thème qu’elle avait choisi, ranger la marchandise sur les rayons, compter la caisse, remplir son cahier de comptes après le repas du soir, prévoir ses futures commandes. Il fallait la voir se précipiter dès que retentissait la sonnette de la porte, rectifier sa toilette et sa coiffure dans la glace du salon, recevoir les clients avec toujours un sourire convenu, joyeux si le client venait pour un cadeau de mariage, plein de compassion s’il venait pour une couronne mortuaire. Comme c’était souvent le cas dans ces commerces de campagne, elle vendait toute une gamme de produits qui voisinaient tant bien que mal sur ses étagères. Elle avait commencé par la quincaillerie puisque mon grand-père était plombier zingueur puis s’était diversifiée : droguerie, alimentation animale, graines,  vaisselle, toiles cirées, récipients divers qui allaient de la marmite émaillée au pot de chambre, tous alignés sur des planches de chêne qui faisaient le tour du magasin.

    Plus tard, à la place de la cour à charbon, elle avait fait construire un arrière-magasin dans lequel se trouvaient des objets difficiles à présenter en rayon et qu’aujourd’hui nous jugerions pour la plupart très insolites : pompes  Flytox , pièges à  souris, tapettes à mouches, entonnoirs pour gaver les oies, bouteilles de verre pour piéger les poissons ou les guêpes, cages à grillons, blanc d’Espagne, chaussettes pour filtrer le café, boules bleues Reckitts pour blanchir le linge, pierres à briquet, verres de lampes, disques de verre troués qui servaient à empêcher le lait de bouillir, presse-fruits, presse-jus à viande, presse-purée, râpes diverses, hachoirs, seaux hygiéniques, cires, cirages, bouillottes, bocaux avec leurs caoutchoucs, chiffons divers, serpillères, serpentins dorés sur lesquels les mouches venaient s’engluer en bourdonnant de terreur avant de mourir d’épuisement .

     

    Mamie Marguerite 1


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  • Commentaires

    1
    Jeudi 7 Juillet 2016 à 08:09
    Claudine/canelle

    Bonjour Azalaîs 

    Meri pour ce très beau partage 

    Nos Grand-mères étaient de vrais personnages !!

    La mienne ressemblait beaucoup à la tienne dans son mode de vie !

    Aujourdhui on est bien loin d'elles ...mais j'espère qu'on laissera a nos petits de tels souvenirs 

    Bises 

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    2
    Jeudi 7 Juillet 2016 à 09:23

    La force des liens intergénérationnels est difficile à décrire, cependant à travers chacun de tes mots je ressens ceux qui te liaient avec ta grand-mère...

    3
    Jeudi 7 Juillet 2016 à 11:56

    C'est ma grand mère paternelle Bretonne Mamie Jeanne qui m'a élevé et m'a inculquée des valeurs qui sont encore les miennes aujourd'hui. Pour moi c'était ma maman, la mienne étant si absente même quand elle était présente. Elle avait beaucoup de personnalité et menait mon grand-père "à la baguette". J'admirais son intelligence, son élégance, son sens du relationnel avec "ses clients" enfin "ses locataires" elle était concierge à Paris et j'ai vécu mon enfance dans une toute petite loge sans confort. Mais j'étais heureuse et choyée et je n'aimais pas les week-ends ou mes parents me "reprenaient". Ce que tu dis de la boutique de ta mamie me rappelle le marchand de couleurs en face de l'immeuble où nous habitions. Il vendait de tout et beaucoup des choses que tu cites et que j'avais oubliées. Merci pour ce souvenir partagé. Ce fut très agréable à lire. 

    4
    Jeudi 7 Juillet 2016 à 14:09
    LADY MARIANNE

    une grand-mère courageuse, active et aimante-
    un billet plein d'émotion, je me voyais dans son magasin !!
    bravo !!
    bisous et bon aprem !

    5
    Jeudi 7 Juillet 2016 à 14:52

    moi non plus Martine, je n'aimais pas "les week-ends", encore moins les vacances, je n'étais bien que chez elle et je crois qu'en me confiant à elle, (même si cela peut paraître violent) ma mère a fait preuve de clairvoyance

    (elle en avait si peu la pauvre!)

    6
    Jeudi 7 Juillet 2016 à 22:29
    erato:

    Un récit très touchant et tellement vivant , je ressens à travers tes mots ton admiration pour elle , ton amour . 

    Tes descriptions sont étonnantes , des instantanés de la vie tellement précis. 

    En lisant tes lignes, je me suis revue avec ma grand-mère et une foule de souvenirs a surgi.

    Merci pour ce beau partage , je lirai la suite avec plaisir.

    Belle soirée, bises Azalaïs

     

    7
    Vendredi 8 Juillet 2016 à 08:58

    Cette première page me touche infiniment. J'adore la présentation que tu fais de ta mère et de ta mamie... si différentes l'une de l'autre, mais toutes deux aimées par l'enfant que tu étais.

    Avoir une mère fée n'est pas facile pour un enfant, mais une mamie-roc, c'est génial.

    Tu t'es construite avec les deux...

    Je n'ai pas connu mes grands-parents, j'aurais aimé. Alors, chaque fois que j'ai rencontré des personnes qui auraient pu l'être, j'ai aimé les imaginer.

    Ta mamie est toujours bien vivante dans tes souvenirs, merci de nous les offrir ainsi.

    Merci pour tout. J'ai hâte de lire la suite.

    Passe une douce journée.

    8
    Vendredi 8 Juillet 2016 à 19:59

    D'habitude j'ai du mal à lire de long texte à l'écran,
    mais avec Mamie Marguerite je n'ai pas vu la longueur passer
    tellement elle est sautillante et pleine de vive.

    Moi aussi je me réjouis de lire la suite Azalaïs

    9
    Samedi 9 Juillet 2016 à 16:27

    Je suis époustouflée par la modernité de mamie Marguerite
    Mes mémés étaient vêtues de noir et coiffées d'un éternel petit chignon rond
    Ce sont plutôt mes tantes qui portaient des blouses, comme si la modernité avait une génération de retard en Loire Atlantique ???
    une femme de tête et de coeur , une femme forte qui finalement te rassurait.. et c'est essentiel !
    bises

    10
    Samedi 9 Juillet 2016 à 16:52

    C'était sa blouse de travail sinon elle n'en portait pas. Ce matin, j'ai cherché d'autres photos d'elle pour intégrer à mes articles et c'est vrai qu'elle était très moderne. je crois que c'est la première femme du village à avoir eu le permis de conduire.

    11
    Samedi 9 Juillet 2016 à 21:16

    J'ai peu connu mes grand-mères et je n'ai jamais eu de vraie relation avec maman qui a fait ce qu'elle a pu mais son enfance avait été trop difficile...je suis très touchée par  ce que tu nous dis...Merci ! Et bon dimanche Azalaîs !

    12
    Dimanche 10 Juillet 2016 à 14:00

    Bonjour,

     je te découvre a l'instant car je viens de plonger dans un océan de souvenirs. Comme ils me parlent, me touchent, me mettent une larme aux coins de yeux. Ton parcours ressemble, un peu, au mien..Ta grand-mère est très belle et quelle modernité dans son port, dans sa façon d'être car les grands-mères d'autrefois avaient l'air plus sévères et ne s'habillaient qu'en noir ou en couleurs très sombres. Je suis très heureuse d'avoir ouvert une page de ton histoire. Je t'embrasse et te souhaite un très doux dimanche.

    13
    mpolly
    Lundi 11 Juillet 2016 à 01:46
    mpolly
    Quel bonheur de te retrouver avec ces souvenirs émouvants. Tu lui donnes tant de vivacité qu'elle est là soudain avec nous.
    14
    Jeudi 4 Août 2016 à 09:53

    la force, l'amour, le courage des femmes.. Que tes souvenirs sont émouvants, et chacune peut les faire siens. n'en ferais-tu pas un calaméo qui se lit si facilement ?

    connais-tu ce poème de Phileas Lebesgue :" La maison vide", qui dit  sans grandiloquence l’amour inconditionnel des mères    "Ce vieux jardin, où jusqu’au bout tes bras tremblants voulurent promener le sarcloir ou la bêche, où l’on pouvait te voir chaque soir à la fraiche patiemment penchée, ah comme il est encore tout plein de ta présence et de ton calme effort "
     

    15
    Jeudi 4 Août 2016 à 15:08

    merci Emma pour ton passage et ce très beau poème que je ne connaissais pas. Il me touche d'autant plus que ma mère devenue dépendante et dont j'ai la charge depuis 5 ans vit dans la maison de ma grand mère qui est mitoyenne de la mienne. Tous les jours je vois le jardin de ma grand-mère que j'essaie d'entretenir de mon mieux même si l'âge commence à me peser à moi aussi, tous les jours je me rends à plusieurs reprises dans cette maison où  j'ai passé de si belles années, tous les jours je la vois se dégrader et tous les jours j'en demande pardon à ma grand-mère mais le temps fait son oeuvre et je suis impuissante.

    16
    Vendredi 19 Août 2016 à 12:24

    Je viens de prendre connaissance de votre joli texte et déjà l'envie me guide vers les autres parties. Il y a tant de souvenirs qui surgissent à travers vos mots que parfois j'ai l'impression d'y croiser Mémé, ma grand-mère adorée qui avait également pour prénom Marguerite. A bientot, je vous suis...

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