• Les voyageurs imprudents: troisième épisode

     Pour La petite fabrique d'écriture

    Vous trouverez les deux premiers épisodes ici et  et veuillez me pardonner de m'être lancée dans une aventure aussi longue mais on ne choisit pas  toujours. La fin de l'histoire est pour la prochaine fois.

     

    Rembrandt

     

    Au loin, dans le rouge sanglant du jour qui sortait de ses brumes, un chœur de cloches joyeuses tinta et je reconnus l’appel de l’angélus. Nous étions proches d’un village, d’un monastère peut-être. Dans ce cas pourquoi notre cocher n’avait-il pas poursuivi sa route plutôt que de nous contraindre à attendre dans ce sinistre bourbier ? Sans doute voulait-il faire profiter son cousin de quelques pièces. J’entrais donc comme on entre dans un rêve malsain. Quelque chose me disait de m’enfuir mais mes jambes étaient nouées par quelque malédiction dont je ne savais rien.

    La pièce dans laquelle nous entrâmes nous surprit tous agréablement. Elle était spacieuse, propre et bien tenue. Quelques chandeliers d’argent l’éclairaient suffisamment pour que nous puissions apprécier le luisant des meubles. Sur  les murs blanchis à la chaux des cuivres brillaient doucement se renvoyant toute une mosaïque de couleurs chatoyantes. Aux fenêtres, de pimpants rideaux de dentelle apportaient une note de fraîcheur champêtre. Près de la cheminée, une vieille femme somnolait dans un fauteuil à oreillettes. Ses épaules étaient entourées d’un de ces châles en cachemire alors très en vogue auprès des élégantes.

    Au centre, une belle table en chêne dont le plateau et les pieds étaient sculptés de créatures marines semblait avoir été dressée pour nous. Sur une nappe de lin écru nous attendaient quelques terrines odorantes, du pain frais, de beaux fromages bien crémeux et des pichets de vin.

    D’un geste de seigneur, le « Polyte » nous invita à nous asseoir  puis il chuchota quelque chose à l’oreille de notre infortuné compagnon. Ce dernier acquiesça de la tête, visiblement soulagé. Il lui avait probablement proposé de se changer avant de partager avec nous cette plantureuse collation. C’est alors qu’une petite voix se mit à me chanter une sinistre comptine qui raconte comment tous les convives d’un repas disparaissent, attirés à tour de rôle hors de la maison par un hôte qui veut les dépouiller. Décidément il fallait que je me calme, que je m’assoie, que je me restaure sans plus penser à toutes ces fables horribles qui me gâtaient l’esprit. Pourtant le « Polyte » demanda bientôt si quelqu’un pouvait aller prêter main forte au cocher car une des roues avait été endommagée pendant le voyage. Un grand paysan au dos large se leva sans se faire prier et sortit après avoir enfourné une épaisse tranche de pâté.

    Nous étions huit et nous n’étions plus que six. Quel serait le suivant ? J’en étais sûr maintenant. Tout ce luxe discret dans une aussi pauvre masure ne pouvait signifier qu’une seule chose : le cocher nous avait emmenés dans le repaire d’une bande de brigands dans le seul but de nous détrousser en nous éliminant les uns après les autres. Autour de moi, les cinq autres continuaient pourtant à ripailler sans se soucier de leurs deux compagnons qui n’étaient pas revenus. Comment les alerter ? C’était peine perdue, je savais qu’après l’aventure de cette nuit, ils me riraient au nez !

    C’est alors qu’entra un très bel enfant blond d’une douzaine d’années qu’on eût dit sorti tout droit d’un tableau de Greuze. Il ôta son chapeau pour nous saluer de façon fort élégante et le geste qu’il fit en soulevant son bras découvrit un instant sa gorge où j’entrevis dans un éclair la statuette de l’Archange que j’avais égarée. Ainsi, le sac de notre coche avait-il déjà commencé. Combien étaient-ils dehors et comment allions nous finir ?

    Sans plus se préoccuper de nous, le garçon sortit de sa veste un journal que je reconnus aussitôt puis il alla s’asseoir près de la vieille femme qu’il réveilla doucement. Quand elle l’aperçut, ses yeux pétillèrent de joie. Elle se frotta les mains avec gourmandise tout en se redressant dans son fauteuil. Le garçon ouvrit la Gazette et se mit à lui lire ma dernière chronique, celle qui racontait comment ayant passé la nuit dans le cimetière de Saint-Martin-des-Champs, j’y avais rencontré le fantôme d’ un prêtre mort depuis plus de cent ans et qui m’avait demandé de servir la messe dans une petite chapelle où il était condamné à revenir tous les ans pour espérer enfin gagner les cieux.

    Pendant qu’il lisait, mon cerveau enfiévré qui brassait en tous sens une foule de projets délirants, se recentra soudain et  me souffla enfin une idée. Peut-être était-ce la proximité de ma statuette porte-bonheur qui me rendait à nouveau inventif. J’attendis la fin de l’histoire pour m’approcher calmement de la cheminée puis je m’adressai à la vieille femme d’un air enjoué :

    -         Je vois que vous aimez mes histoires grand-mère !

    -         Vos histoires ? s’étonna le garçon.

    -         Mais oui jeune homme, mes histoires,  car vous avez devant vous le très célèbre Aristide Maupin dis-je en bombant le torse.

    -         Et tout ce que vous racontez dans la Gazette est vrai ?

    -         Et pardi mon garçon, bien sûr que c’est vrai.

    -         Mais pourquoi est-ce que moi, je n’ai jamais rencontré aucune de ces créatures  que vous décrivez. Je parcours pourtant la campagne et les bois en tous sens et tout autant que vous.

    -         Peut-être es-tu trop jeune et peut-être que tu ne sais pas leur parler. Vois-tu, il faut les mettre en confiance, connaître les bonnes formules, les endroits qui leur conviennent, leurs habitudes aussi.

    L’enfant était songeur. Je venais d’appâter le poisson, il me fallait maintenant le ferrer en avançant un autre pion.

    -         Mais dis-moi tentais-je en voyant que l’aïeule s’était rendormie, ta grand-mère a bien dû te conter quelques histoires qui se seraient passées dans les environs. Si je les connaissais, je pourrais te donner quelques conseils !

     

    à suivre...


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  • Commentaires

    1
    Lundi 10 Février 2014 à 08:43
    Quelle histoire on se demande bien comment cela va finir
    2
    Lundi 10 Février 2014 à 09:50

    bonjour Aza,
    merci de faire durer le plaisir !
    c'est toujours aussi beau
    et mystérieux
    à souhait !
    bon lundi
    bises

    3
    Lundi 10 Février 2014 à 11:39

    C'est avec joie que je viens de lire la suite... finalement, je pense que tu en feras un roman. :)

    Et j'adore l'idée !

    j'ai hâte de lire les prochains épisodes. (tout en espérant que la fin en sera heureuse)

    Passe une douce journée.

    4
    Lundi 10 Février 2014 à 11:46

    non non quichottine pas un roman hélas, c'est au-dessus de mes forces et pourtant cela me plairait bien, un seul épisode et ce sera la fin

    J'ai pris beaucoup de plaisir à écrire cette histoire et je te remercie d'en avoir été l'instigatrice

    bises

    5
    Lundi 10 Février 2014 à 14:09

    Tu fais durer le suspens et j’attendrais encore pour en connaître le dernier rebondissement...

     

    6
    Lundi 10 Février 2014 à 14:12

    Il est plein d'astuce cet homme et je suis sûre qu'il va sortir de ce mauvais pas, il sait attirer la chance à lui ou peut-être est-ce la statuette porte-bonheur?

    7
    Lundi 10 Février 2014 à 19:42
    mpolly

    On sent la finesse de cet Aristide Maupin, artiste littéraire aux contes à nous tenir en éveil. J'ai un peu peur pour l'ange blond qui lit si bien.

     

    Palpitant.

     

    à suivre bientôt j'espère.

     

    Bises Aza.

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    8
    Mardi 11 Février 2014 à 02:41

    Dommage pour le roman... j'aurais adoré, tu as tout ce qu'il faut pour l'intrigue.

    Mais heureuse parce que je n'aurais pas trop à attendre pour en connaître le dénouement.

    (j'avoue, à ce moment de ma lecture, je serais allée voir les dernières pages avant de me remettre au bon endroit de ma lecture.)

     

    Passe une belle journée. Bises.

    9
    Mardi 11 Février 2014 à 07:29

    Tu sais nous tenir en haleine...


    Merci


    Bises

    10
    Mercredi 12 Février 2014 à 11:34

    Je reviendrais, je voudrais bien connaître la suite.

    A bientôt donc

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