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Légende du Sidobre
Il y a de cela très très longtemps, dans une ferme isolée perdue au fin fond du Sidobre, vivait un homme qui élevait des oies. Je suppose que vous ignorez tout de cette terre de solitudes qu’aucune route digne de ce nom n’osa traverser avant la fin du XVIII ème siècle. Etrange pays en vérité, qui court par ses vallées obscures et sauvages, ses puys tout arrondis, ses landes désertiques balayées de vents fous, ses tourbières humides piquetées de bouleaux. Ça et là, quelques forêts de hêtres que l’automne enflamme, des sapinières aussi noires que la nuit et puis aussi des lacs, aux bleus sombres et profonds, des grottes, des gouffres, des sources, des cascades... Mais ce qui rend ce pays plus mystérieux encore, ce sont partout des blocs énormes de granit qui le parsèment de bout en bout, des blocs sortis tout droit de la marmite de l’enfer et qu’un petit poucet du diable aurait déposés là, dans un chaos informe et inquiétant. Il arrive parfois que par endroit, le granit affleure en dalles gigantesques, semblables à la peau d’un monstrueux dragon qui dormirait dans les entrailles de la terre.
Les trois fromages
On dit que cheminer alors lorsque tombait la nuit à travers ces figures dantesques, c’était risquer la mort d’un coup de sang subit ou bien rentrer tout trempé de sueur et gémissant de fièvre, avec des yeux égarés de folie et les jambes qui ne vous portaient plus ! C’est qu’on en colportait des histoires sur ces monstres de pierre ! Chacun avait la sienne à raconter le soir devant la cheminée. Il y avait l’histoire de la pierre branlante aux rondeurs singulières que les sorcières chevauchaient certaines nuits d’été pour s’accoupler avec le diable. Celle de ce rocher tremblant qu’il fallait remuer les soirs de pleine lune pour faire un pacte avec le drac ou bien lancer un sort à son voisin trop fortuné. Et puis aussi la pèira clavada sur laquelle on devait jeter une pièce si l’on voulait se marier dans l’année et puis, et puis… Il y avait la pierre folle, celle qui roule, celle qui tourne, celle qui vire, celle qui danse… Elles avaient toutes un nom sorti tout droit de l’imagination des gens de ce pays : le roc d’Artus, la tête de lièvre, les trois fromages, le chapeau de curé, la tortue, les colosses, les trois bébés, la pochée du diable… Inutile de vous dire que les sorciers et les jeteurs de sorts y étaient si nombreux qu’on les excommuniait chaque dimanche à la messe et que pour sanctifier ces terres païennes on donna à leur capitale le nom de Lacrouzette (petite croix en Occitan).
La pèira clavada
Mais revenons à nos oies et à leur propriétaire, un des sorciers les plus redoutés de la région. Il vivait seul dans cette immense bâtisse faite de blocs de granit entassés et recouverte de lauzes grises. Personne jamais n’était entré dans sa demeure pour la simple raison que dès que quelqu’un s’en approchait, les oies aussitôt se mettaient à claironner en faisant un raffut de tous les diables. Le sorcier alors sortait sur le perron et descendait les escaliers à la rencontre de son visiteur. On traitait toujours l’affaire sur une belle dalle plate, cerclée de mousses et de bruyères d’où jaillissait une source aux vertus mystérieuses.
Les oies étaient serrées dans un enclos où elles menaient paisibles, leur vie de volatiles sans souci. Elles faisaient les belles en se haussant du col tout en tortillant joliment du croupion pour réclamer quelque friandise matinale, ou bien elles se lançaient dans une danse des plus élégantes, juchées sur la pointe extrême de leurs pattes en agitant leurs ailes. Parfois, notre sorcier qui aimait bien ses oies, louait les services d’une jeune bergère qui les menait au pré ou dans un champ de céréales qui venait d’être moissonné, ou bien au bord d’un lac où elles s’ébrouaient comme des folles ! Notre bergère avait comme il se doit un amoureux : un petit pâtre des environs qui venait très souvent la distraire en lui jouant de la cabrette !
Un jour qu’elle gardait près d’un lac, une troupe d’oies sauvages s’abattit sans un bruit sur les eaux. Notre bergère, toute occupée par son berger ne les vit même pas ! Mais quel spectacle pour nos oies domestiques ! Sans faire le moindre bruit elles s’approchèrent de la berge pour admirer cette troupe exotique. C’étaient des oies des neiges aux plumes blanches bordées de gris. Il y avait aussi quelques jars aux yeux bleus bordés d’un trait de vermillon. Imaginez quel « tifo-tafo » cela fit dans le cœur de nos oies des bois !
Lorsque l’heure fut venue de rentrer chez le sorcier, l’une d’entre elles, la plus jolie, la plus hardie décida de braver l’interdit. Elle se cacha dans une touffe de genêts d’Espagne afin de rester un peu plus auprès d’un jeune jars couronné d’une huppe du plus bel effet. Durant toute la nuit, il lui fit mille grâces, lui offrit en riant de beaux bouquets de populages, lui fit des couronnes d’anémones et la fit jouer à la marelle sur le dos rond des rochers qui émaillaient le lac. Lorsque le coq chanta, notre petite oie se sauva et promis à son jars de revenir la nuit prochaine. Elle fit ainsi toute les nuits jusqu’à ce que…
On approchait de la Saint Jean qui comme chacun sait, est une nuit magique pendant laquelle tout le monde des fées, des elfes mais aussi des démons, des sorcières s’en donne à cœur joie. C’est aussi la nuit où le diable réunit ses sorciers pour partager sa cargaison de sorts. Ils arrivent tous là, sur leur balai de bouleau, communient en chœur d’une rondelle de rave et puis se donnent des nouvelles de chaque contrée en menant grand tapage. Notre sorcier bien sûr se rendit à la fête et rentra lorsque le coq chanta. Et que croyez-vous qu’il vit ? Notre jeune écervelée qui sautait prestement au-dessus de la barrière de l’enclos. Aussitôt, il fit venir la petite effrontée qui dut bien vite lui raconter son aventure. Comme elle était futée, elle lui dit pour adoucir son sort et pour l’amadouer qu’elle avait un œuf à couver près d’un rocher du lac et qu’il en sortirait bientôt un oison des plus extraordinaires.
- Soit, lui répondit le sorcier, je te donne la permission de couver ton œuf aussi longtemps qu’il le faudra mais dès que l’oison sera né, je veux le voir ici. Et s’il est aussi beau que tu sembles le penser, je te pardonnerai peut-être.
- Je vous promets de revenir dès qu’il sera né, répondit-elle heureuse.
Elle se croyait bien maligne la pauvrette et cette histoire d’œuf, elle venait de l’inventer. Les jours passaient, notre petite oie folâtrait et le sorcier attendait avec impatience l’arrivée de son oison joli… Quand il comprit qu’elle lui avait menti et qu’elle passait son temps à batifoler avec son bellâtre, il entra dans une grande colère et une colère de sorcier, il vaut mieux l’éviter !
- Ah ! Comme ça, tu me couvais l’œuf du siècle ! Et bien, je vais t’en donner un moi, qui va faire de toi l’oie la plus célèbre de toute la région ! Et, fais moi confiance, cet oeuf là, tu n’es pas prête à l’abandonner de sitôt !
Alors, d’un coup de baguette magique, il la pétrifia en une masse énorme et plaça tout près d’elle un œuf gigantesque qui tremble sur son socle au moindre souffle de vent. On dit que certaines nuits de printemps, on peut voir notre petite oie qui pleure encore son bel amour perdu.
"Et cric et crac, mon conte es acabat"
Tags : Sidobre, conte, roc de l'oie, les trois fromages, La pèira clavada
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Commentaires
je ne m'étonne plus que, dans ce pays, les champignons soient de pierre.
Ils sont à l'image du coeur de ce sorcier !
merci pour cette belle histoire
belle journée à toi3mpollyMardi 5 Novembre 2013 à 12:30Superbe coin que je n'ai pas la chance de connaître et je comprends bien, avec les photos, qu'il est habité de légendes. Et ta pauvre oie amoureuse... quel méchant sorcier que voilà! Il lui faudrait une fée, une fée des mots comme toi pour dénouer la pierre et lui redonner l'envol.
Je ne sais pourquoi j'aime tant les légendes, contes et autres récits mystérieux, l'enfant en moi n'a pas grandi, et je suis sûre qu'elle restera là encore à écouter ces tremblements infimes entre les arbres et les champignons.
Bisous.
tu ne t'y es pas perdu Jean-Marie? Les lieux sont un peu mieux signalés aujourd'hui mais en rando, nous nous perdons souvent, l'autre jour nous marchions en sens contraire, quelque méchant sorcier sans doute!
bises jean-marie
merci polly
les légendes ne manquent pas mais elles sont souvent racontées en peu de mots et il faudrait les réécrire,
un livre est sorti il y a quelques temps sur les légendes du Tarn mais le conteur vraiment mauvais, il parle plus de lui que de l'histoire
Epatant !... légende et belles photos, tout est bien en place juste se laisser porter par l'histoire, merci tout plein !
Superbe ! Je ne connais pas cet endroit, mais à te lire j'ai vraiment envie d'aller y poser mes pas... un jour, peut-être, je me retrouverais en tête à tête avec cette jeune écervelée, j'espère que le sorcier ne sera pas là pour nous épier, et j'esaierais de sécher ses larmes avec quelques comptines qui pourraient, qui sait, lui rendre la liberté...
Une triste fin pour cette pauvre oie, j'espère qu'une gentille fée, sortie peut-être de la bibliothèque de Quichottine vienne l'a délivrer de son terrible sort.
Merci pour ton passage Azalais, j'ignorais que tu avais changé de plateforme.
Je connais les deux musées du santon, c'est sympa d'avoir pensé à moi
BisesUn conte merveilleux : une belle légende agrémentée de photos superbes . Un endroit où il fait bon rêver et promener , un peu comme le bois de Païolive chez moi en Ardeche.
http://www.lieux-insolites.fr/ardeche/paiolive/paiolive.htm
Douce soirée Azalaïs
c'est vrai Santounette que l'histoire pourrait se poursuivre mais les habitants du Sidobre qui vivent de ces curiosités ne seraient pas très contents!
Je me souviens de ce site on nous y emmenait en balde quand j'étais en classe à Toulouse
Tes phptos sont très belles et le conte merveilleux
Merci .
Passe une bonne journée
Bises
Je ne connaissais pas cet endroit; ta description des lieux me donne envie de venir y faire un tour...
Bonsoir Aza,
Nous avons près de chez nous , un coin comme çà, sans doute avec des légendes propres à chacune des roches .Mais je me demande si tu ne connais pas : Dame Jouanne , Larchant ... il faut que je retrouve mes photos . En tout cas, tu restes douée pour les récits, tu devrais te lancer dans le haïbun ( juste ++ haïkus à ajouter dans ton récit )
Gros bisous
merci Liliane, j'en ai déjà lu quelques uns mais il faut être doué pour que cela ne paraisse pas trop superficiel et s'intègre bien au récit
je vais aller voir ce site
bises et bonne soirée
c'est quand tu veux mimikk, les jours de chasse sont à éviter mais la région est vraiment très agréable et il a de jolis sentiers de randonnée
bonne soirée
Coucou
Merci pour ce lien ..j'adore ces legendes !!!
Et le mechant gagne bien souvent ..dommage !!
Sourires
Cet endroit doit être magnifique à decouvrir !!
Merci pour ton passage par chez moi en ce dimanche bien froid , mais ensoleillée chez nous !
Demain à nouveau pluie de prevue ..
Bises Azalaïs
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bonjour, mon Aza
c'est splendide !
et d'autant plus pour moi que j'ai bien connu cette région :
pion d'nternat à Mazamet, bloqué loin de Toulouse un weekend sur deux, le Sidobre était une de mes promenades préférées
un site extraordinaire
et ces légendes, que tu racontes si bien, donnent plus encore d'éclat à ces pierres précieuses dans cet écrin naturel
(excuse ce lyrisme de pacotille mais quand tu me lances sur des sentiers poétiques...)
merci
bonne journée
gros bisou d'amitié
jean-marie