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Leçon d'écriture
Il y avait la table ou plutôt le pupitre avec un encrier de porcelaine blanche. Un élève passait tous les matins pour le remplir d’une encre bleue teintée de violet mauve. Je rêvais d’être cet enfant là mais pour cela, il fallait avoir les faveurs du maître.
C’est pourquoi, je m’efforçais d’être extrêmement attentive pendant toute la séance d’écriture qui commençait toujours de la même façon. Tout d’abord, le maître expliquait au tableau dans les moindres détails, la façon de s’y prendre. Il fallait compter soigneusement les interlignes au-dessus et parfois au-dessous de la ligne porteuse. La règle était toujours la même : 3 interlignes au-dessus et deux au-dessous. Il montrait sur les lignes du tableau l’endroit où l’on devait obligatoirement commencer notre travail puis il traçait plusieurs fois la lettre à la craie. Parfois, il nous demandait de pointer notre doigt dans l’air et il fallait reproduire tous ensemble dans l’espace le tracé de la lettre afin de l’inscrire dans notre corps et dans notre mémoire.
Ensuite, j’observais un moment le modèle tout rouge au début de la ligne, je positionnais bien comme il faut le buvard au-dessous, puis je trempais avec angoisse la plume dans l’encrier, prenant soin de transporter à chaque voyage la juste quantité de liquide. C’était un exercice difficile et périlleux. S’il n’y avait pas assez d’encre, on risquait d’être interrompu au mauvais endroit et le raccord serait visible. S’il y en avait trop, c’était la tache ou l’éclaboussure qui vous guettait.
Enfin, la fête pouvait commencer et elle était complète lorsqu’il y avait des majuscules, surtout celles qui comportaient des boucles que l’on devait dessiner d’un seul geste, sans lever le porte-plume. Je retenais mon souffle et puis je me lançais comme on se jette à l’eau, sans penser à rien d’autre, concentrée sur le trait, les pleins et les déliés, appuyé d’un côté, léger dans le retour. Quels mystères se cachaient donc dans ces traces obscures, ces descentes qu’il fallait maîtriser avant de tourner court dans des entrelacs ventrus.
Les lettres s’alignaient comme de vaillants petits soldats à la parade, hésitants au début, plus sûrs d’eux à la fin, heureux et fiers d’avoir vaincu ces fourbes parallèles.
Cela aurait pu être un merveilleux instant contenu tout entier dans cette bulle de silence, avec juste le crissement léger de la plume effleurant le papier, le frottement furtif des pieds sous les chaises, les soupirs de ceux qui avaient commis l’irréparable, le rayon de soleil qui s’invitait à la fête, le pas du maître dans les allées. Mais quand il s’approchait de moi, la bulle se rompait soudain et je n’entendais plus que le bruit de mon cœur qui bondissait dans ma poitrine. Allais-je enfin trouver grâce à ses yeux ? Aurais-je enfin le droit de distribuer l’encre le lendemain matin ?
Tags : souvenirs décole, écriture, enfance
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Commentaires
Je ne sais si tu as trouvé grâce à ces yeux ...
Mais je sais que tu as trouvé grâce à mes yeux ...
Et tu auras le droit de continuer à nous distribuer des sourirs demain matin ...
Amicalement Pascal
Un texte magnifique et touchant . J'ai retrouvé cette ambiance de classe , ces espoirs d'enfants, cette attention.
J'adore.
belle soirée Azalaïs
Ton texte est magnifique ... Tellement vrai... J'ai retrouvé mes cauchemars d'enfant ... J'ai cette période en horreur...
Très belle journée Azalaïs
merci Jean-Marie, c'est si loin c'est vrai et pourtant malgré ces mauvais souvenirs, le sort à voulu que je fasse à mon tour des modèles d'écriture et j'y ai pris cette fois beaucoup de plaisir
bises
Non Pascal, je n'ai jamais trouvé grâce à ses yeux mais je me suis vengée des années plus tard en devenant instit, la vie est bizarre parfois
merci de ta visite
c'est gentil erato, à l'ère des tableaux numériques cela n'a plus beaucoup de sens et nous ne serons bientôt que de vieux dinosaures. Les enfants d'aujourd'hui sont devenus des magiciens, des touche à tout de génie
bonne journée erato et merci de ta visite
Je suis comme toi Jackie, j'en rêve encore, c'est un cauchemar récurrent chez moi, pourtant j'ai découvert en moi beaucoup plus tard tout ce qui me faisait défaut à cette époque
bon diamnche
Je n'ai jamais su écrire correctement à la plume... mais que j'aurais aimé !
Tu te souviens du "cahier de roulement" ? Je connais une maîtresse qui ne m'y a jamais fait écrire, comme si je n'étais pas là. Ce cahier que l'on montrait le jour de l'inspection devait être un chef d'oeuvre...
Ton texte est magnifique.
Merci, Aza.
Bises et douce journée à toi.
(les livres en commande seront postés mardi... J'ai hâte.)
Non Quichottine, je ne me souviens pas du tout, je n'ai jamais pratiqué cela même pas en tant qu'instit. Les inspecteurs prenaient les cahiers au hasard et c'était d'autant plus angoissant
Comme je le disais à Jackie, je rêve régulièrement et de mes souvenirs d'écolière (je ne sais jamais mes leçons, je n'ai jamais fais mes devoirs!) mais aussi de ces inspections surprises. Mon rêve est que je n'ai rien préparé: ni cahier journal, ni projets d'élèves, ni répartitions, ni modèles d'écriture, aucunes corrections: rien!! quelle angoisse!
Bon dimanche,
14mpollyDimanche 6 Octobre 2013 à 22:16Je n'ai que le souvenir de l'encre et de ma gentille maîtresse. je devais tout autant tirer la langue, m'appliquer, m'appliquer... je l'aimais tant Madame Bonthoux. Je ne me souviens pas qu'elle ait humilié un élève, l'encrier c'était chacun son tour.
C'est la seule, c'est l'unique, celle qui en une seule année m'a tout donné de la joie d'écrire. Après? C'est une autre histoire... Et tu sais, bien des années plus tard (j'étais enceinte de mon second) je l'ai retrouvée.
Ton texte est empreint de toutes nos années d'école, parce que forcément on a tous rencontré ce maître ou ce professeur indifférent.Merci pour ce moment.
Un texte bien écrit où l'ambiance de l'école est présente, je n'ai pas connu le temps de l'encre bleue teintée de violet mauve mais cela m'aurait bien plu... et je rejoins notre Polly sur l'indifférence de certains professeurs même lorsque l'on est bon élève, faut dire que j'aimais bien l'école en général et puis aussi il y a eu une maîtresse qui m'avait remarqué pour le dessin :-)))
Ah la la nostalgie quand tu nous tiens... t'embrasse Azalaïs !
Souvenirs lointains mais bien présents...L'odeur de l'encre, le plaisir d'utiliser une nouvelle plume que je suçais pour enlever l'huile...Moi, j'espérais toujours être appelée pour écrire les mots au tableau pendant la leçon de vocabulaire, mais ce n'était jamais moi...
Contente de te relire!merci de ta visite mimikk, j'ai gardé quelques unes de ces plumes dans leur boîte, je ne me souvenais plus de ce détail mais c'est vrai qu'il fallait sucer cette plume avec un petit frisson quand la pointe piquait un peu la langue
La semaine dernière c'était l'inauguration de la nouvelle école du village. Quand j'ai vu tous ces tableaux numériques j'ai bien perçu combien c'était loin
C'est si dur d'écrire dans les lignes avec les pleins et les déliés, et se foutu porte-plume avec lequel il est bien difficile de ne pas faire de taches.... Comme toi, j'ai rêvé de pouvoir un jour emplir les encrires, mais cela ne m'est jamais arrivé... Je suppose que c'est ce texte que tu voulais envoyer, il est très beau, on sent toute l'application de l'élève et la crainte du maître....
oui, Annick, c'est le texte que je voulais envoyer mais j'ai laissé passer le délai. Ce sera pour une autre fois
Je suis heureuse de rencontrer une compagne dans cette quête de l'encrier
bises et bonne journée
tu as eu de la chance Joëlle, mais les temps changent et les enseignants sont de moins en moins stricts
je t'embrasse Joëlle
je ne me souviens du nom que d'un seul maître,Polly, celui de CM2 parcequ'il nous apprenait la flûte et qu'il avait monté un orchestre
les autres....
Coucou Aza
Au bout de la plume, une encre noire , rouge ou verte : tout un art que d'écrire avec elle, entre lignes, interlignes,déliés etc .. des souvenirs ( j'ai écrit un haïku , mais il participe à un appel à textes ) !! Bien reçu la marguerite, superbe ce recueil et quel plaisir de vous retrouver toutes ici , pour un autre bonheur
As-tu pu joindre Amartia ?
Bisous
tu m'as rappelé ma petite enfance, où je m'appliquais aussi à faire ces lignes, tout en tirant la langue!
Je passais sur ton blog, car j'ai reçu le livre la marguerite des possibles, et j'y ai trouvé un très joli marque-page, Quichottine m'a dit que c'est toi qui l'avais fait, je les collectionne. Alors merci beaucoup !
bonne semaine
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bonsoir, mon Aza
c'est magnifique!
C'est extraordinaire, criant de vérité !
je me suis revu... en sueur et tirant la langue dans mes efforts
... il y a...presqu'un siècle...
mais en matière de calligraphie, je n'avais aucune chance...
...de pouvoir un jour remplir les encriers !
excuse-moi de t'avoir emprunté ton idée de Peintre
pour mon Tableau du Samedi
bonne soirée
bon week-end
gros bisous d'amitié
jean-marie