• L'atelier de l'artiste : texte 3

     

    Cette fois j'ai une image à vous proposer trouvée sur internet

     

    12 Duchêne2Gérard Duchêne

     

    Des lignes, des lignes, des lignes, c’était sa vie la ligne, une passion, une obsession, une idée fixe. Il faut dire qu’il était né sur la ligne B du RER en pleine heure de pointe, quelque part entre Denfert et Palaiseau. Depuis toujours, il les collectionnait sous des formes diverses : plans, cartes, diagrammes, figures géométriques,  mais aussi fils tendus, enroulés, tricotés, nœuds marins, dentelles, tissages…

    Dans son atelier situé pas très loin de la gare qui l’avait vu naître, il y avait également des photos, des images, de petites vidéos redisant inlassablement la profondeur d’un sillon au printemps, la ligne instable de l’écume à la crête des vagues, les veines ondoyantes d’une planche de merisier, les lignes fugaces d’un arbre dans la brume, celles mouvantes d’une rangée de peupliers sur le bord d’un canal, la courbure d’une hanche, le galbe d’un sein, les rides, les nervures, les écorces, les traces laissées par les escargots sur l’allée du jardin … Il les redessinait aussi  sur de petits carnet sans lignes, sur le sable des plages, sur des corps dénudés, sur des espaces de béton mais jamais, jamais, il n’en avait écrite une seule.

    À moi, il avait dit un jour ses difficultés d’apprentissage quand il était petit pour tenter de maîtriser la lecture et l’écriture, le refus absolu qu’il avait de suivre les chemins tout tracés que l’on voulait qu’il prenne, sa révolte face aux voies formatées dans lesquelles on voulait l’enfermer, ce qui l’avait conduit sans doute à sa dernière marotte  qui consistait à découper encore et encore de longues bandes étroites dans des articles de journaux. Des lignes et des lignes d’écriture qu’il triturait, désossait, dévissait, recollait,  puis découpait encore jusqu’à ce que le sens des lignes se délite, se désagrège, se dissolve, qu’il n’en reste qu’une trame vidée de sa substance.

    « Ne garder que l’essentiel me disait-il, une sorte de balbutiement, quelque chose qui veut se dire et qui n’y parvient pas. De toute façon me confiait-il encore, nous vivons à l’heure du SMS, du texto,  de la Smart édition. Les gens n’ont plus le temps de lire, de penser. Les journalistes n’ont plus le temps de développer leurs propres idées. Ils piquent celles des autres pour écrire leurs chroniques et nous n’avons plus droit qu’à un ramassis de brèves de comptoir, de twitts ou de micros-trottoirs. C’est le fast-food de l’info ! Alors moi j’ai inventé le fast-art.

    Mais c’est un peu plus subtil que ça quand même. Le truc vois-tu, c’est de détourner l’écriture pour que les gens se posent un peu et s’interrogent enfin devant ces espèces de messages codés  comme les archéologues l’ont fait devant la pierre de Rosette. Sortir du cadre pour y faire entrer le spectateur et allumer en lui la petite étincelle. Proposer le silence pour en tirer du sens, de l’illisible pour faire jaillir le questionnement. Tu imagines tous ces gens devant mes œuvres qui ont envie soudain de dire, d’écrire ce que je n’ai pas écrit, pas voulu dire, de remplir tous ces vides pour en faire une histoire, un poème que moi je n’ai pas su écrire ? Obliger des gens qui n’ont pas le temps de lire, qui passent leur temps à zapper en permanence d’un texte à l’autre, à tenter de lire un truc qui n’est pas écrit pour lui trouver du sens ! Une sacrée invention non ? »

    Une sacrée invention c’est vrai et alors que j’étais plongée dans  le déchiffrement de ces écrits perdus, il me souffla : « Même le titre il faudra qu’ils le cherchent parce que toutes mes œuvres sont Sans titre ».

     

     

    Je pars une semaine, je ne pourrai pas venir vous faire un petit coucou. À bientôt.

     

     


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  • Commentaires

    1
    Mercredi 17 Juin 2015 à 21:50

    La petite étincelle s'est très bien allumée chez toi, et tu as interprété cette œuvre de façon originale. Tu imagines bien que j'aime cette façon de contourner la difficulté de l'apprentissage de la lecture et de l'écriture...

    Bravo encore une magistrale improvisation !

    2
    Mercredi 17 Juin 2015 à 22:09

    Bavo Azalaïs tu as beaucoup de tALENT

    bonsoir et très bonne nuit

    3
    Mercredi 17 Juin 2015 à 22:46
    erato:

    De cette suite de lignes , tu en as fait une histoire qui nous oblige à nous arrêter , à nous interroger , à prendre le temps. J'aime beaucoup le symbole de ton texte.

    Bravo !

    Belle soirée, bises Azalaîs

    4
    Mercredi 17 Juin 2015 à 23:34

    un tableau qui fait poser beaucoup de questions

    5
    mpolly
    Jeudi 18 Juin 2015 à 07:23
    mpolly
    Vraiment passionnant ton artiste des lignes. Ses détournements obligent à s'interroger sur la vitesse de nos lectures, sur l'incapacité actuelle à lire vraiment, entre les lignes aussi.
    Il a trouvé l'art et la manière pour apprivoiser la lecture et dans la lecture inviter notre imaginaire.
    6
    Jeudi 18 Juin 2015 à 08:33
    Claudine/canelle

    Je ne sais guère comment commenter ces ecrits mais sache que j'apprecie beaucoup 

    Le talent d'ecriture me manque un peu ..donc je ne peux que lire et admirer !

    Bonne journée Azalaïs

    Bises

    7
    Jeudi 18 Juin 2015 à 15:49

    Belle imagination bien partagée de façon à développer la nôtre! 

    8
    Vendredi 19 Juin 2015 à 06:38

    Bravo, c'est ce texte que je préfère dans ta série sur un tableau que je ne n'aime pas particulièrement. J'aime ton écriture mais surtout tu m'as permis de réfléchir, de m'interroger, d'essayer de donner un sens à cette œuvre. Belle semaine

    9
    Vendredi 19 Juin 2015 à 11:34

    Toujours aussi agréable de te lire chère Aza, merci pour ce sourire du matin

    T'embrasse

    10
    Vendredi 19 Juin 2015 à 13:14

    Une découverte dont je te remercie infiniment.

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    11
    Vendredi 19 Juin 2015 à 14:15

    coucou oui ton article est super ,il fait beau mais j'espère que sa vas durer tout le week-end,je te souhaite un très bon Samedi,bises

    12
    Samedi 20 Juin 2015 à 07:15

    et c'est vrai que l'on cherche .... de l'autre côté de cette écriture miroir en négatif ..mais une fois les manipulations de l'artiste inversées, on ne trouve que la silhouette des mots .. le sens s'est envolé .. seul l'artiste connaît les mots emprisonnés, le message dilué .. c'est un peu triste
    l'écrit est fait pour être lu pas deviné .. enfin c'est mon point de vue !
    bises

    13
    Samedi 20 Juin 2015 à 08:12

    et tu proposes des jeux de mots Martine????

     

    14
    Samedi 20 Juin 2015 à 12:53

    happy c'est vrai Azalaïs .... oiSeauX .. 2 consonnes !! yeswink2

    15
    Samedi 20 Juin 2015 à 15:22

    ah mais oui c'est vrai, je ne sais pas pourquoi j'ai confondu le X avec le Y, j'ai vraiment l'esprit ailleurs, je suis déjà sur le chemin

    merci bises et à bientôt

    16
    Samedi 20 Juin 2015 à 18:15

    Coucou Azalaïs

    C'est vraiment un texte magnifique ! Et pourtant, l'image ne m'inspire pas du tout.... comment fais-tu ??? Tu as un talent fou...

    Bonne pause et profite bien de ces moments en t'espérant un temps idéal...

    Bisous du fond du cœur

    17
    Samedi 20 Juin 2015 à 18:18

    cool voilà bises et à bientôt  .. des vacances ???
    profite bien , j'espère que tu auras beau temps !

    18
    Dimanche 21 Juin 2015 à 17:53

    Profite bien de cette semaine.

    Je n'ajouterai rien à ce qu'on dit avant moi ceux qui t'ont lu. C'est tout à fait magique, ta façon d'interpréter cette image... j'aime énormément tes mots.

     

    Merci, Azalaïs.

    Passe une douce journée. Bises.

    19
    Mardi 30 Juin 2015 à 07:15

    Coucou Azalaïs,


     


    Superbe texte. J'ai beaucoup aimé. Bravo! yes


    J'admire cette faculté à écrire sur les images es autres. Un exercice auquel j'ai accepté de me plier pour une expo photos à l'automne. Cela va , en grande partie, occuper mon été car tout doit être terminé fin août.


    Lorsque je lis le mot" ligne" je pense à la ligne de la canne à pêche de mon père, la ligne de ma silhouette qui a bien changée depuis mes 20 ans , et les lignes d'écriture ou  à l'expression tant redoutée " vous me ferez 100 lignes..."


     


    Bonne pause estivale chère Aza


    A bientôt


    Bises


    smile


     

    20
    Mercredi 1er Juillet 2015 à 14:28

    Un petit coucou ensoleillé en passant, bisous Aza

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