• Devoirs de vacances: suite et fin

     

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    Puis je le vis qui regardait Betty. Son visage rieur fut balayé en quelques secondes par une multitude d’émotions : la stupéfaction, l’incrédulité, la curiosité, la tendresse, le désir, le désarroi, la crainte d’être surpris en train de la dévorer du regard. Je perçus aussi qu’il hésitait, comme s’il n’osait pas rompre le charme de cette fascination dans laquelle il se trouvait.

    Quand il se décida, je le vis reprendre peu à peu son allure d’autrefois, celle qu’il avait quand il jouait aux Indiens. On eût dit un félin qui a choisi sa proie. De sa langue il se  lécha furtivement les lèvres (un tic que j’aimais tant et qu’il avait visiblement conservé) comme s’il se délectait par avance de ce qui allait suivre. Ses yeux de lynx devinrent plus verts et plus étroits, son menton se durcit, son visage prit le masque d’un chasseur certain de parvenir à ses fins quoi qu’il arrive. Sans la quitter un seul instant du regard, il dessina autour de Betty des cercles de plus en plus serrés, écartant d’un geste les importuns qui se mettaient sur son chemin. De temps en temps, il s’arrêtait pour l’observer sous un angle nouveau puis il reprenait son approche, calme et déterminé.

    Soudain il fut près d’elle. Je m’attendais presque à le voir bondir comme quand il bondissait autrefois par-dessus le vieux mur mais il murmura visiblement très ému : « Betty ? » et Betty s’écria « Matthieu » dans un grand rire joyeux, sans aucune surprise comme si elle l’attendait depuis toujours. Elle le prit aussitôt par le bras et ils s’éloignèrent vers le grand chêne tout au fond du jardin. Pas une seule fois ils ne me cherchèrent des yeux et je vis leurs têtes qui se rapprochaient pour observer le magnifique arc-en-ciel qui venait de repousser le ciel.

    Je restais là, les jambes en coton, dévorée de chagrin, déchirée, dévastée, par ce qui venait de se passer. Quel était donc ce sort cruel qui venait soudain de briser tous mes espoirs, tous mes rêves ? C’est alors qu’un inconnu, portant un drôle de gibus décoré d’une bordure d’œillets rouges s’approcha de moi et me dit :

    -          Quel joli couple ils font, vous ne trouvez pas ? Est-ce que vous les connaissez ? 

    Je fis non de la tête et je m’apprêtais à quitter la fête quand ce dernier se mit en travers de ma route d’une façon que je trouvais fort importune.

    -         Permettez-moi de me présenter : Antoine Desoeillets, créateur de chapeaux et vous ?

    -         Alice, prof de math répondis-je sèchement.

    -         Ça alors ! Alice rencontrant le chapelier fou dans une fête champêtre ! Ça s’arrose !

    Et comme s’il la sortait de son chapeau, il me tendit une coupe de champagne tout en m’examinant de la tête aux pieds, hochant de la tête avec des airs de conspirateur.

    -         Prof de math dites-vous ? Je n’en crois pas un mot ! Vous avez plutôt la tête d’un écrivain. Je suis certain que vous adorez depuis toujours inventer des histoires mais que vous vous êtes trompée de chemin en poursuivant une chimère. Non, non, plus je vous regarde et plus,  j’en suis certain, vous n’aimez pas vous pencher sur le mystère des chiffres mais sur celui  des mots ! Un chapelier, voyez-vous, se doit de savoir lire ce qu’il y a dans la tête de ses clients et je me trompe rarement. Pour l’instant, je le vois bien, votre cœur est en friche mais il s’en remettra ! Si je puis me permettre, mettez donc tout cela par écrit, racontez votre histoire, promenez-vous un peu, faites le tour du monde. Une porte se ferme mais d’autres vont s’ouvrir. Rompez tout de suite avec cette aventure que vous avez imaginée de toutes pièces mais qui n’est pas la vôtre. Vivez-donc votre vie à vous ! Je pars ce soir pour les Andes. Il y a là-bas de merveilleux couvre-chefs et des couleurs tout aussi enivrantes que celles de l’arc-en-ciel. Si vous voulez, je vous emmène.

    Finalement, il avait tout à fait raison et grâce à lui, je devins un écrivain célèbre, connue dans le monde entier grâce à l’extravagance  de ses chapeaux.

     

    Fin

     


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  • Commentaires

    1
    Mardi 24 Septembre 2013 à 14:32

    CHAPEAU !!!

    Merci j'ai bien aimé

    2
    Mardi 24 Septembre 2013 à 14:47

    bonjour, mon Aza
    c'est un peu ce que j'avais essayé de deviner
    mais ç'aurait été  assez  banal
    et tu n'aimes pas la banalité

    ce que tu écris est infiniment mieux 
    au lieu de désespoir, un avenir radieux
    vive le Pays des Merveilles !
    et son Alice
    bonne journée
    gros bisous d'amiiié
    jean-marie

    3
    Mardi 24 Septembre 2013 à 18:30

    Un joli dénouement sur une peine de cœur, Alice a rencontré au bon moment l'as de pique, qui lui a permis d'écrire une histoire sentimentale qui se lit avec plaisir et s'ouvre au bonheur des mots...

    4
    Mardi 24 Septembre 2013 à 18:38

    une belle histoire

    5
    Mardi 24 Septembre 2013 à 18:38

    merci Jackie

    6
    Mardi 24 Septembre 2013 à 18:40

    les fantasmes des enfants et de beaucoup d'entre nous peuvent faire des ravages, par chance, la folie peut nous sortir de bien des abîmes

    Merci jean-Marie

    7
    Mardi 24 Septembre 2013 à 18:41

    merci Annick, parfois la notoriété tient à peu de choses, les bonnes rencontres au bon moment et aussi un brin de fantaisie

    bonne soirée

    8
    gazou2
    Mercredi 25 Septembre 2013 à 06:33

    Voilà une fin inattendue...mais il a bien raison ce chapelier...Merci pour cette belle histoire !

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    9
    Mercredi 25 Septembre 2013 à 08:33

    Hihi, je ne suis pas sûre qu'il faille être connue dans le monde entier pour être heureuse, mais par contre je pense que les profs de maths font de bons écrivains car ils ont l'esprit logique et la rigueur que la langue requiert.

    Bonne balade dans les mots... encore un mot dont je ne sais jamais si je dois doubler le "l" ou pas... je ne suis pas mathématicienne

    10
    Mercredi 25 Septembre 2013 à 12:37

    Oui, Gazou, j'ai fait dire à ce chapelier des choses auxquelles je crois de plus en plus, tant de gens se gâchent la vie en fantasmant, en projetant sur les autres des sentiments qu'ils n'ont pas, que de déconvenues nous pourions éviter si nous vivions juste dans le réel, dans le présent

    bonne journée

     

    11
    Mercredi 25 Septembre 2013 à 12:38

    Désolée que ma fin ne te convienne pas Aude,

    on pourrait imaginer qu'elle devienne hermite dans une cabane en roseaux tressés sur les bords du lac Titicaca et qu'elle écrive des histoires que personne ne lira jamais en cultivant un état hallucinogène procuré par les feuilles de coca

    nous sommes tous un peu en  recherche de reconnaissance Aude, sinon pourquoi tiendrions nous un blog?

    12
    Mercredi 25 Septembre 2013 à 22:48

    J'ai adoré !

    Fin très surprennante, mais finalement moins "gnan-gnan" que si elle avait été à l'eau de rose... Un amour d'enfant qui restera malgré tout un très beau souvenir et un chapelier fou pas si fou...

     

    J'aime énormément l'approche dépeinte.

    Merci pour ce bon moment Aza.

    Passe une douce soirée.

    13
    Vendredi 27 Septembre 2013 à 11:29

    Bonjour Aza,

    il faudra que je prenne le temps de venir lire tes articles, j'ai tant de retard...bisous

    14
    Vendredi 27 Septembre 2013 à 13:08

    Une histoire bien contée, merci et compliments Azalaïs, t'embrasse !

    15
    Vendredi 27 Septembre 2013 à 13:18

    Quand tu veux Liliane, je ne publie qu'un texte par semaine, tu as le temps tu vois

    16
    Samedi 28 Septembre 2013 à 12:50

    Bonjour Aza

    Je viens de relire article par article , pour lesquels tu sais amener le lecteur à poursuivre .J'admire tes facultés à écrire .Tu surprends vec la fin, mais j'apprécie ce détournement, de l'enfance à l'adolescence on s'accroche souvent à des sentiments qui changent avec le temps , heureusement !

    Bisous Aza

    17
    mpolly
    Lundi 30 Septembre 2013 à 20:11
    mpolly

    Quelle belle fin, liberté, liberté. L'enfant libérée par un chapelier plein d'idées et surtout plein de vie, bien autant que Matthieu, peut-être plus encore, car rien ne le retient sinon les mesures d'une tête et les couleurs qui vont avec.

    18
    Mardi 1er Octobre 2013 à 09:04

    sans  folie, l'amour peut-il survivre? comment résister à quelqu'un qui te dit: "Je pars pour les andes si vous voulez je vous emmène"

    bises

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