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Des voyageurs imprudents: suite et fin
- Vraiment Messire ? C’est que par ici, nous sommes gâtés lâcha-t-il à l’étourdi ! Il y a l’histoire de la Grotte des Sarrasins, celle du Pas du Diable qui raconte la bataille entre le Diable et l’Archange Saint Michel, celle des corbeaux de la cascade et puis la légende de la Fosse Arthour…
Ainsi nous n’étions pas loin de Mortain et la cloche que j’avais entendue tout à l’heure était peut-être celle de l’Abbaye Blanche. Il me fallait avancer un nouveau pion.
- De très belles légendes c’est vrai. J’aime beaucoup celle du roi Arthur et de la reine Guenièvre prisonniers à jamais dans leur grotte derrière les cascades. Mais sais-tu que parfois l’enchanteur Merlin a le pouvoir de les libérer en jouant de sa harpe magique ?
- Une harpe magique ?
- Oui, c’est une harpe que l’on peut voir parfois sur une pierre plate tout près de la cascade. De plus elle exauce dit-on les vœux de ceux qui ont la chance de l’apercevoir.
Les yeux de l’enfant se mirent à briller comme des agates.
- Et connaissez-vous l’emplacement de cette pierre plate ?
- Pour sûr mon garçon que je le connais !
- Pourriez-vous m’y mener ?
- Eh bien…. il faudrait pour cela que nous ne soyons pas trop loin de Mortain. Je crois que nous n’allons pas tarder à repartir et je ne voudrais pas faire attendre mes compagnons.
Il me sourit alors avec tristesse et dit dans un murmure :
- Ne vous tracassez donc pas pour cela Messire, on vous attendra. Il faut seulement que nous sortions d’ici sans nous faire remarquer. Le Polyte n’aime pas me voir traîner sur les routes et m’a ordonné de rester ici. Tenez, le voilà qui va dans la souillarde, profitons-en, vite suivez moi.
Il me désigna alors une porte dérobée astucieusement dissimulée derrière la cheminée. Elle menait directement à une écurie fort sombre dans laquelle se tenaient trois chevaux tout harnachés. Leurs sabots étaient entourés de chiffons sans doute pour étouffer le bruit de leurs pas. Ces malandrins pensaient vraiment à tout ! Sans faire le moindre bruit il sortit un grand hongre roux que nous enfourchâmes tous deux puis il me guida de façon magistrale vers Mortain en empruntant quantité de sentiers détournés à travers bois, landes et prairies. Malgré la peur et l’excitation qui ne cessaient de grandir en moi, j’admirais l’habileté de cet enfant, sa grâce, son ingéniosité et remerciais le ciel d’avoir préservé sa naïveté. Mais je pensais aussi à mes compagnons lâchement abandonnés et tentais de garder en mémoire tous les indices de la route qui me permettraient de retrouver cette auberge maudite.
Quand nous fûmes enfin à l’entrée de la gorge, je lui dis qu’il fallait s’enfoncer un peu dans les bois tout en suivant la Cance. C’était une journée de printemps magnifique et tout autour de nous, de petites feuilles se déployaient tendrement dans une débauche de verts. Mais moi, je ne voyais rien. Il me fallait à tout prix trouver une pierre plate. Bien sûr, j’aurais pu laisser là le pauvre enfant et repartir à bride abattue vers Mortain mais je voulais récupérer en douceur ma chère statuette.
Soudain, je vis de l’autre côté de la rivière ce que je cherchais: une très belle dalle de granit verdâtre au-dessus de laquelle deux grands arbres inondés de lumière faisaient comme une arche protectrice. Je demandai au garçon de descendre du cheval et de se tenir à distance, dissimulé derrière un rocher pendant que je prononcerais la formule magique censée faire apparaître la harpe. Je me mis alors à bredouiller une sorte de litanie en latin de cuisine puis me frappai le front comme pris d’une inspiration subite !
- Mais que je suis donc sot, cela ne peut fonctionner que si je tiens dans ma main une statuette de l’Archange pour écarter les forces maléfiques et voilà que je l’ai oubliée chez moi ! Comment faire ?
Bien entendu le pauvre enfant me dit ingénument qu’il en avait une et me la tendit avec un pauvre petit sourire plein de honte. Une fois la précieuse statuette dans ma poche, je recommençai à dire la fausse litanie et tout en invitant le garçon à la réciter avec moi, je fis faire demi-tour à mon cheval et partis au grand galop vers Mortain où j’informai aussitôt les gendarmes de ma mésaventure en les priant de faire au plus vite pour tenter de retrouver vivants mes malheureux compagnons.
Trois jours plus tard on put lire dans la Gazette comment grâce au très célèbre Aristide Maupin une bande de dangereux brigands qui écumaient depuis quelques temps toute la région avait été arrêtée. Par chance aucun de mes compagnons n’était mort. On les retrouva ligotés dans une grange où les malfrats leur avait un peu chauffé les pieds pour les forcer à révéler leurs adresses respectives et surtout où ils cachaient leurs pièces d’or.
Quant à moi, je cessai de courir la campagne à la recherche de toutes ces créatures du Diable. J’avais eu trop peur. À trop courir après le Mal on finit par le trouver. Aussi m’étais-je reconverti en chroniqueur artistique. Désormais je ne recherchai plus que les jolies choses, celles qui apportent la paix aux âmes et je visitai pour mes lecteurs les plus beaux sites de la planète.
Pendant longtemps, le beau visage de l’enfant blond que j’avais abandonné tout près de la cascade me hanta. Je n’avais pas parlé de lui aux gendarmes. En m’attribuant à moi seul le succès de mon évasion, j’avais voulu le protéger mais qu’était-il devenu alors que toute la bande avait été arrêtée. Plusieurs fois j’étais revenu au pied de la cascade espérant le retrouver mais bien sûr, je n’y trouvai personne.
Ce n’est qu’au soir de ma vie, alors que je me rendais sans doute pour la dernière fois à l’abbaye de Mortain que j’eus le fin mot de l’histoire. Je ne sais quel obscur pressentiment me poussa à demander un prêtre pour confesser ce qui me hantait depuis si longtemps et que je n’avais jamais osé avouer à personne. On me dépêcha un moine dont je ne vis pas le visage car il était dissimulé par une grande capuche blanche. Il m’invita à m’asseoir à ses côtés et il écouta toute ma confession sans dire un seul mot. À la fin, il se leva, me prit les mains et me dit moitié riant, moitié pleurant :
- Ne soyez plus triste mon frère car vous m’avez sauvé la vie. Après votre départ, je vous en ai voulu naturellement mais plutôt que de chercher à retrouver le Polyte et sa bande qui me faisaient très peur, je me suis dirigé vers l’abbaye. Là, après avoir conté mon histoire, les moines m’accueillirent comme si j’étais leur propre enfant. Ils m’éduquèrent et bien qu’ils m’aient laissé libre de mes choix, je n’en suis jamais reparti. Vous voyez, la harpe de Merlin a réalisé mon vœu, celui de me trouver une vraie famille car tout comme Oliver Twist, je n’étais qu’un orphelin recueilli par une bande de malfrats qui m’obligeaient à commettre des actions qui me répugnaient.
- La harpe de Merlin, m’écriai-je ! Elle existe donc ?
- Mais naturellement qu’elle existe mon frère, en douteriez-vous ?
FIN
Chris Van Allsburg
Tags : contes et légendes normandes, La fosse Arthour, Mortain, l'abbaye blanche, la gazette de la Manche
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Commentaires
Je vais t'avouer que je n'aime pas la musique mais j'aimerais entendre le son de cette harpe "magique".
Merci pour ton commentaire sur la petite fabrique et sur mon blog. Je ne connais pas Château Gaillard ni les Andelys qui n'est pas très loin de Vernon et de Giverny où je vais de temps en temps. Je randonne beaucoup dans l'Eure dans la région de Gisors notamment car c'est à 30 minutes de Cergy en voiture.
Belle semaineAh ! que j'aime ton histoire et la façon dont tu la racontes et les illustrations que tu as choisies !
Et le dénouement ! Il me semblait bien que cet homme savait faire venir la chance vers lui et vers ceux qui l'approchent
bonjour Aza
c'est très beau
plein de poésie !
après tant de sombres frayeurs
dans le fond, j'aime bien les fins heureuses !
merci
bon... tu as oublié le titre !!! lol..
bonne journée à toi
bises amicalesChemin de grâce, écrit Annick, oui, c'est cela, cet ange blond, innocent et qui a gardé toute sa bonté.
Un conte magnifique que tu racontes avec bonheur . J'aime le symbole de cette harpe qui par deux fois sauve l ' âme perdue .
J'aime beaucoup la dernière phrase.
Douce soirée, bises Azalaïs
Quel joli conte. la chute m'a surprise. j'aime beaucoup
Merci et bonne journée à toi Azalaïs
Martine
Ouf !
Si tu savais combien tu m'avais fait peur !
Je suis contente que tout se soit bien terminé pour l'enfant et pour le héros de l'histoire.
Merci, Aza !
J'ai adoré !
Passe une douce journée.
Une merveilleuse histoire, je me suis laissée entrainer dans cette aventure. Et ce que j'aime avant tout ce n'est pas seulement votre style d'écriture mais toutes ses idées neuves pleines de sentiments humains. Un grand bravo et merci pour ces instants de détentes.
Amicalement
Régine ou pseudo rosinda59
http://rosinda59.over-blog.com
toujours aussi dur pour moi de lire des textes aussi long
j'ai pu e"n lire un peu grâce à la police qui est assez grande
besos
tilk
Agréable lecture une fois de plus chère Aza, et la harpe est un bel instrument tu lui as donné de jolies notes ici, bises !
un joli scénario bien ficelé , jusqu'au clin d'oeil final !
bravo Azalaïs !
j'aime beaucoup tes description qui plantent magnifiquement les atmosphères
bises
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Et bien après nous avoir fait trembler de peur, tu nous emmènes vers un chemin de grâce et de paix, je n'écouterais plus la harpe de la même façon....